Une législation « à la française »

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Publié le 2 février 2013
Par Thierry Pennable
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La vente de médicaments sur Internet est réglementée en France depuis le 1er janvier 2013. Le monopole des pharmaciens est préservé. Tous les regards se tournent désormais vers l’élaboration de bonnes pratiques qui vont préciser les modalités de ce type de vente.

Depuis le 1er janvier 2013(1), la France est dotée de sa législation sur la vente de médicaments sur Internet. Les dispositions ont été intégrées dans le code de santé publique. En fait, le gouvernement devait transposer en droit français une directive européenne traitant plus largement de la protection contre les contrefaçons de médicaments, et en particulier de la vente sur Internet. Après une période de débats passionnés, aujourd’hui, les textes sont publiés et l’heure n’est plus à l’opposition entre les « pour » et les « contre ». Tous les acteurs du secteur se tournent désormais vers l’élaboration de bonnes pratiques de la vente en ligne. « La France a transposé la directive avec la volonté d’apporter des règles de sécurité. J’espère que les bonnes pratiques éviteront tous les débordements que l’on peut craindre, souligne Jean-Luc Audhoui, pharmacien et président de la commission communication à la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Nous allons faire part de nos observations pour contribuer à l’élaboration des bonnes pratiques, au même titre que lorsque des médicaments ont été proposés en accès libre ». Une volonté partagée par Philippe Lailler, titulaire de la pharmacie de la Grâce de Dieu à Caen (14), qui a ouvert un site de vente depuis plus d’un an (voir encadré p. 7) : « Je propose depuis plusieurs mois que l’Ordre, le ministère, les syndicats et les pharmaciens qui ont tenté l’expérience se réunissent autour d’une table pour organiser la vente sur Internet en adéquation avec notre circuit de distribution français qui est de qualité ». De son côté, le ministère de la Santé, qui affirme s’employer déjà à définir ces bonnes pratiques à l’attention des professionnels, prévoit d’informer les Français de cette nouveauté « sans faire la promotion de la vente en ligne ».

Le monopole préservé

Le ministère estime avoir organisé cette vente avec une approche restrictive, en tenant compte du monopole des pharmaciens, garant de la qualité du médicament et de la sécurité des patients. Ainsi, en France, seuls les pharmaciens titulaires d’une officine ou gérants d’une pharmacie mutualiste ou de secours minière sont autorisés à vendre des médicaments en ligne(1). Ce droit est étendu dans certaines conditions aux adjoints et aux remplaçants qui peuvent exploiter le site d’une officine. Car c’est une autre contrainte imposée par la France, les sites de vente par Internet doivent être adossés à une pharmacie « physique ». Toutefois, aucune disposition n’oblige les pharmaciens à se limiter aux médicaments du stock. Dès lors, des accords contractuels entre pharmaciens et grossistes sont envisageables, afin notamment que ces derniers puissent prendre en charge directement la livraison des commandes passées sur le site Internet d’une officine. Cela pourrait entraîner une baisse des coûts de stockage et de logistique répercutée dans les prix, ce qui donnerait un avantage concurrentiel à certains, comme c’est déjà le cas avec les pharmacies « discount ».

Une liste « trop » restrictive ?

Seuls les médicaments de médication officinale peuvent être proposés sur les sites. C’est-à-dire ceux déjà présentés en accès direct à l’officine, inscrits sur la Liste des médicaments de médication officinale, établie et actualisée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). C’est une autre mesure restrictive prise par le gouvernement français, alors que la directive européenne distingue seulement les médicaments soumis à prescription de ceux qui ne le sont pas. Or, de nombreux médicaments non soumis à prescription ne relèvent pas de la médication officinale, tels que Dafalgan, Hélicidine, Spasfon, etc., et cela peut poser problème. « La directive européenne a un caractère obligatoire pour les États membres, rappelle Cathie-Rosalie Joly, avocate du cabinet Ulys, spécialisée dans le commerce électronique et celui des produits réglementés. En cas d’incompatibilité entre une norme nationale et une norme communautaire, les États membres ont l’obligation d’appliquer la norme communautaire ». Ce que pourraient soulever les pharmaciens français qui s’engagent dans la vente sur le Net. Ils ne peuvent pas proposer des médicaments non soumis à prescription que leurs clients trouveront sur d’autres sites européens concurrents… « Je ne peux pas vendre de dentifrice Sanogyl blanc fluor parce qu’il n’est pas sur la liste », proteste Philippe Lailler. La liste de l’ANSM pose une autre question. Les médicaments n’y sont inscrits que sur demande du fabricant titulaire de l’autorisation de mise sur le marché. Ainsi, les laboratoires peuvent très facilement empêcher le commerce de leurs produits en ligne en ne demandant pas leur inscription sur la liste des médicaments de médication officinale. « Ce qui, à défaut de justification objective [considérations de santé publique ou de sécurité sanitaire], constitue une restriction contraire au droit européen », souligne Maître Joly.

Un système sécurisé

Le décret précise que les sites français autorisés doivent contenir un lien hypertexte vers les sites de l’ordre national des pharmaciens et du ministère de la Santé. Le consommateur pourra y vérifier la légitimité du site vendeur à partir d’une liste des sites d’officine autorisés.

Au niveau européen, un logo permettant l’identification de l’État européen dans lequel est établi le site vendeur sera mis en place dès 2013, et affiché sur chaque page d’un site pratiquant le commerce électronique de médicaments. « Ce logo sera sécurisé par des procédés techniques, électroniques et cryptographiques définis par la Commission européenne afin de permettre la vérification de l’authenticité du logo commun », ajoute Maître Joly. Il n’est pas sûr que ces mesures suffisent à rassurer les opposants à la vente sur Internet, qui évoquent les nombreuses falsifications de critères « officiels » sur la Toile.

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Une place pour le préparateur

« Même les plus fidèles clients comparent les prix. Malgré notre bonne volonté et notre implication, on subit la concurrence des grosses pharmacies et des magasins de parapharmacie. Alors, avec les ventes sur Internet… », dit un message sur la page Facebook de Porphyre. De nombreux préparateurs expriment leurs inquiétudes avec l’arrivée de la vente en ligne, quand d’autres y voient un discrédit de leur rôle de conseil. Pourtant, Philippe Lailler, titulaire et gérant du site « www.pharma-gdd.com », se veut rassurant : « Les préparateurs ne doivent pas être inquiets et considérer la vente en ligne comme une activité complémentaire, un développement supplémentaire pour la pharmacie ». Dans sa pharmacie caennaise, c’est un préparateur qui fait fonctionner le site et édite les commandes, même si elles sont signées par un pharmacien. « Un préparateur peut se former sur la vente en ligne comme il se forme aujourd’hui en orthopédie ou autres, ajoute Philippe Lailler. Une préparatrice travaille sur le site, rentre les produits et prépare les textes. Pour que le site vive, il doit être alimenté. Nous faisons également les photos des produits dans la pharmacie ». Une idée d’évolution professionnelle comme une autre…

(1) Ordonnance n° 2012-1427 du 19 décembre 2012 et décret n° 2012-1562 du 31 décembre 2012, relatifs au renforcement de la sécurité de la chaîne d’approvisionnement des médicaments et à l’encadrement de la vente de médicaments sur Internet. J.O. des 21.12.2012 et 01.01.2013.

Il fallait légiférer

Deux arguments ont conduit le gouvernement à prendre position sur la vente de médicaments sur Internet à la fin de l’année 2012. « Refuser de prendre des dispositions revenait à laisser ce type de vente sans encadrement », explique le ministère de la Santé. Car, depuis 2003, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) avait estimé qu’un État européen ne pouvait s’opposer à la vente par correspondance de médicaments non soumis à prescription sur son territoire(1). Ce qui obligeait la France à accepter que les consommateurs français importent des médicaments depuis d’autres pays européens. D’autre part, le droit européen obligeait la France à se prononcer avant le 2 janvier 2013, sous peine de s’exposer à des sanctions financières de l’ordre d’une astreinte minimale de 12 134 € par jour de retard et d’une amende minimale de 10 millions d’euros.

(1) Arrêt Doc Morris rendu le 11 décembre 2003 (voir Porphyre n° 463).

Ils sont déjà sur la Toile

→ Deux pharmaciens, Cyril Tétart et Philippe Lailler, largement cités dans les médias, titulaires respectifs de la pharmacie du Bizet à Villeneuve-d’Ascq (59) et du site Internet « lasante.net », et de la pharmacie de la Grâce de Dieu située à Caen (14) et du site « pharma-gdd.com », proposent depuis plusieurs mois la vente de médicaments sur le Net. « Depuis dix ans, chaque pays européen pouvait réglementer la vente de médicaments sur Internet, mais la France était en retard. Or ce type de vente était libre en droit européen, explique Philippe Lailler. Le site est ouvert depuis plus d’un an et les commandes sont venues progressivement pour atteindre 1 050 en décembre, avec 30 à 40 commandes par jour. »

→ Autre initiative, le site « 1001pharmacies.com », plateforme qui accueille les pharmacies pour leur permettre de vendre leurs produits en ligne contre un abonnement mensuel de 100 €. Ouvert depuis fin octobre 2012 et limité dans un premier temps à la parapharmacie, le site devait s’étendre à la vente de médicaments fin janvier 2013. « On se charge de toute la technicité, ce qui évite aux pharmacies de supporter les coûts de création de site, d’acquisition de clients, etc. », précise Cédric O’Neill, pharmacien, cofondateur de « 1001Pharmacies ». La formule intéresse les pharmaciens. « Nous recevons à peu près un appel par jour », constate Cédric O’Neill, qui se fixe pour objectif 2 000 pharmacies adhérentes dans les deux ans à venir.

À retenir

→ Seuls les pharmaciens d’officine sont autorisés à vendre des médicaments sur Internet.

→ Le site doit être adossé à une pharmacie physique (que ne possède pas Michel-Édouard Leclerc…).

→ Seuls peuvent être vendus les médicaments figurant sur la « Liste des médicaments de médication officinale » de l’ANSM.

→ Un logo apparaîtra sur chaque page des sites autorisés.

→ La liste des sites autorisés sera consultable sur les sites de l’ordre des pharmaciens et du ministère de la Santé.La liste des sites autorisés sera consultable sur les sites de l’ordre des pharmaciens et du ministère de la Santé.