Quels sont les dangers du protoxyde d’azote détourné ?

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Publié le 23 mai 2022
Par Thierry Pennable
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L’usage détourné du protoxyde d’azote inhalé à des fins récréatives se répand, avec des signalements multipliés par cinq(1). Les risques parfois très graves sont sous-estimés par les utilisateurs.

Qu’est-ce que le protoxyde d’azote ?

Le protoxyde d’azote, ou oxyde nitreux (N2O), est un gaz utilisé dans les domaines médical et alimentaire. En médecine, il sert comme adjuvant de l’anesthésie générale et de l’analgésie au bloc opératoire ou en salle de travail via un mélangeur N2O-O2, ou comme analgésique dans les douleurs légères à modérées lors des soins douloureux dans le gaz Meopa (mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote). Dans l’ alimentaire, il est employé comme additif dans les cartouches pour siphon à chantilly ou comme gaz propulseur.

Comment agit-il ?

« Son mode d’action n’est pas bien connu, rapporte Marylène Guerlais, du Centre d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance-addictovigilance à Nantes (44) (voir Experte). Il a notamment une action au niveau GABAergique expliquant son action anxiolytique, et au niveau des voies inhibitrices descendantes de la douleur expliquant celle sur la douleur ». Et d’ajouter que le N2O « a une efficacité modérée en tant qu’anesthésique et anxiolytique ».

Quel est le problème sanitaire ?

Il réside dans l’usage détourné à des fins récréatives du N2O « alimentaire », disponible en cartouches, bonbonnes… Le gaz est libéré grâce à un cracker (voir Repères), puis recueilli dans un ballon de baudruche et inhalé pur. Les principaux effets recherchés sont l’euphorie, l’hilarité, d’où son surnom de « gaz hilarant », la distorsion des perceptions, l’anxiolyse. Les notifications aux CEIP-A montrent la recherche de « défonce », pour « planer » ou « oublier »(1).

Son mésusage est-il fréquent ?

Dans le cadre du suivi d’addictovigilance du Meopa, le CEIP-A de Nantes a toujours collecté des notifications concernant le N2O pur, avec moins de 20 signalements par an jusqu’en 2016, suivis d’une augmentation progressive dès 2017, pour atteindre 254 en 2020(1). « Les raisons de la hausse récente ne sont pas identifiées, précise Marylène Guer lais , à la différence du purple drank popularisé par des rappeurs américains(2) ». Elle relève néanmoins « une perception d’innocuité liée à la brièveté des effets du gaz inhalé, de l’ordre de quelques secondes, une vente libre très accessible et un prix peu élevé ». Une loi de juin 2021 interdit sa vente aux mineurs et dans les débits de boissons et de tabac(3).

Quels sont les risques ?

« C’est un gaz avec des risques réels et graves immédiats et lors de prises au long cours », avance Marylène Guerlais. Parmi les risques immédiats, une asphyxie en cas de consommation importante car le N2O est inhalé pur, sans oxygène. Le gaz libéré est très froid, avec un risque de brûlures de la bouche, des lèvres, des doigts, et plus gravement au niveau pulmonaire. Il y a aussi un risque de chute après inhalation et d’accident de la route. À plus long terme, les effets neurologiques regroupent des paresthésies ou hypoesthésies, et des déficits sensitivo-moteurs, notamment un trouble de la marche. Les atteintes peuvent être centrales, avec myélopathies ou sclérose combinée de la moelle, et/ou périphériques, avec neuropathies ou polyneuropathies. « Il y a peu de recul pour la réversibilité des symptômes, mais le pronostic est meilleur si la prise en charge est rapide ». Le N2O inactive la vitamine B12 entraînant une hyperhomocystéinémie, facteur de risque de thrombose. Complications psychiatriques, anxieuses et psychotiques, troubles de l’usage avec tolérance, « l’euphorie diminue dans le temps », sevrage à l’arrêt et perte de contrôle, « tous les critères des dépendances sont rapportés ».

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Que dire au comptoir ?

En cas « de plaintes pour des troubles neurologiques de type paresthésies, céphalées ou autres survenant chez des jeunes adultes ou des adolescents, l’officinal peut poser la question d’une éventuelle consommation de protoxyde d’azote, estime Marylène Guerlais, qui a exercé en officine. Le plus simplement possible, tout en informant d’un risque neurologique potentiellement grave avec ce gaz ». Une demande d’automédication en vitamine B12 justifie « la question d’une consommation de N2O, comme pour toute autre substance prise en même temps ». Un tel signalement d’automédication a été rapporté au CEIP-A par un pharmacien au sujet d’une patiente disant consommer « trop de protoxyde d’azote ».

NOTRE EXPERTE INTERROGÉE

Marylène Guerlais, pharmacienne au Centre d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendanceaddictovigilance (CEIP-A) des Pays de la Loire, à Nantes (44).

Repères(1)

Usagers

Ces chiffres sont issus des notifications mais ils ne reflètent pas le nombre d’usagers réels en France.

→ Profil : homme (68,9 %) ; âge moyen : 22 ans ; mineurs :13,4 %.

→ Consommation : quotidienne dans plus d’un tiers des cas.

→ Abus, pharmacodépendance, usage quotidien, dose élevée (plus de 20 cartouches) : presque deux tiers des cas. Jusqu’à 15 bouteilles, soit 1 200 cartouches…

→ Atteintes : 83 neurologiques, dont 13 scléroses combinées de la moelle et 16 myélopathies.

Lexique

→ Cracker : dispositif cylindrique, en deux parties, dans lequel la cartouche de gaz est insérée. À son extrémité percée est fixé le ballon de baudruche. Lors du vissage des deux moitiés du cracker, la cartouche est percée et le gaz s’échappe par les trous vers le ballon.

(1) Rapport d’expertise – Bilan d’addictovigilance – Protoxyde d’azote – Données 2020, CEIP-Addictovigilance de Nantes, 2021.

(2) Boisson à visée psychotrope à base de sirop de codéine et d’un antihistaminique de couleur rosée, d’où le nom (purple = violet) et de soda.

(3) Journal officiel du 2 juin 2021.