La femme en colère

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Publié le 16 décembre 2023
Par Anne-Charlotte Navarro
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On ne plaisante pas avec les congés payés. Certains salariés n’hésitent d’ailleurs pas à s’opposer à leur employeur quitte à dépasser les bornes. Mais quelles bornes au fait ? L’insolence justifie-t-elle un licenciement ?

LES FAITS

 

Le 11 avril 2005, Mme Y. est engagée par la société LP comme supply chain manager. L’entreprise est rachetée le 1er août 2013 par la société AC. A la suite de cette opération, un différend naît avec Mme Y. au sujet de ses congés de fin d’année 2013. La salariée sollicite leur report, bien que l’accord d’entreprise en vigueur dans la société AC l’interdise. Malgré les réponses précises et claires de ses managers, Mme Y se montre particulièrement insistante pour obtenir ce qu’elle souhaite. Face à cette attitude qu’elle qualifie d’insolente, AC licencie Mme Y. le 3 février 2014. La salariée conteste la validité de son licenciement.

LE DÉBAT

 

L’article L.1121-1 du Code du travail dispose que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». Ce texte vise notamment les libertés énumérées dans la Constitution ou la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, comme la liberté religieuse, de se syndiquer, de se vêtir librement, etc. Si l’employeur veut limiter l’une d’entre elles, il doit s’assurer que les raisons qui motivent sa décision sont nécessaires à la limitation. Cette règle donne lieu à un important contentieux, notamment sur la liberté d’expression. La jurisprudence estime que la liberté d’expression du salarié est limitée par son obligation de loyauté envers l’entreprise dans les propos qu’il peut tenir avec des tiers et l’interdiction de la diffamation ou des injures. Les magistrats considèrent alors que seul l’abus de cette liberté peut être sanctionné par une mesure disciplinaire, voire un licenciement.

 

Dans le cas de Mme Y., la société AC apportait comme preuve les e-mails envoyés par la salariée à ses supérieurs, ainsi que des témoignages relatant son altercation verbale avec le dirigeant de l’entreprise. Selon la société, cette insolence était un abus dans l’exercice de la liberté d’expression du salarié. Mme Y. considérait, elle, qu’elle avait juste exprimé son point de vue.

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Le 15 février 2022, la cour d’appel de Nîmes (Gard) juge que le comportement de Mme Y., ainsi que la teneur de ses messages justifient le licenciement. Les magistrats retiennent notamment que la salariée a posé plusieurs ultimatums à son supérieur et a envoyé l’e-mail suivant au président de la société : « Dans la mesure où j’ai pu, malgré de grandes réticences et incompréhensions, prendre mes congés, je considère que l’incident est clos ». Cet e-mail démontre, selon les magistrats, un manque de respect de la hiérarchie et une remise en cause polémique des décisions de la société.

 

La salariée forme un pourvoi en cassation. Pour elle, il ne s’agit pas d’un abus de liberté.

LA DÉCISION

 

Le 11 octobre 2023, la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel. Les hauts magistrats considèrent qu’il n’y a abus dans la liberté d’expression du salarié que lorsque celui-ci tient des propos « injurieux, diffamatoires ou excessifs ». Ils estiment que les magistrats de la cour d’appel, en retenant que le licenciement était justifié, ont mal interprété le droit. Ils auraient dû démontrer en quoi « les propos tenus par la salariée comportaient des termes injurieux, diffamatoires ou excessifs ».

     
 
 
 

À retenir

Le salarié bénéficie d’une liberté d’expression dans l’entreprise.

Seuls des propos injurieux, diffamants ou excessifs peuvent être considérés comme abusifs et justifier une sanction.

L’insolence, l’insistance, le ton polémique, voire l’âpreté dans la défense d’intérêt ne constituent pas un abus de la liberté d’expression du salarié.

  • Source : Cass. Soc., 11 octobre 2023, n° 22-15.138.