Et si temps ne rimait pas avec argent ?

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Publié le 20 avril 2002
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Qui ne s’est jamais posé la question quant à la justification d’une éventuelle extension des horaires d’ouverture ? Mais avant de se lancer tête baissée dans la spirale du non-stop, mieux vaut analyser l’opportunité réelle d’une telle décision. Sans pour autant négliger les facteurs essentiels que représentent l’environnement, la concurrence et la qualité de vie.

Doper son chiffre d’affaires, fidéliser une clientèle sujette au nomadisme, s’attirer de nouveaux patients… Autant de raisons qui poussent nombre de titulaires à ouvrir leurs portes pendant l’heure du déjeuner, puis de plus en plus tard le soir, voire même le dimanche. Bien qu’en matière d’horaires il existe un clivage certain entre la ville et la campagne, la durée d’ouverture hebdomadaire dépasse très souvent les 50 heures. Avec une moyenne de 67 heures en milieu urbain.

Bien connaître le seuil de rentabilité

L’équation « plus d’accessibilité égale plus de rentabilité » ne s’applique pas automatiquement à toutes les officines. « Allonger ses plages horaires ne se justifie que s’il est possible de dégager un gain de chiffre d’affaires suffisant pour pallier les frais de personnel », explique Olivier Delétoille, expert-comptable de KPMG Entreprises. D’un point de vue purement matériel, il suffit donc de réfléchir en fonction des salaires. Pour une opération financière réussie, le salarié doit au moins réaliser un chiffre d’affaires équivalent à son tarif horaire (charges incluses) divisé par le taux de marge (0,28).

Prenons l’exemple d’un préparateur coefficient 280, soit une rémunération horaire de 9,07 euros à laquelle s’ajoutent environ 30 % de charges sociales. Le montant des ventes qu’il doit dégager doit être supérieur à 42,10 euros par heure. Pour un assistant payé au coefficient 500, cette somme s’élève à 75,25 euros. « Il faut veiller à ce que l’augmentation des charges soit corrélée avec une augmentation de clientèle », met en garde Stéphane Drevière, commercial chez Alliance Santé (Chartres).

Pour les pharmacies situées en centre commercial, des études ciblées permettent de calculer le taux de fréquentation en fonction du moment de la journée et donc de dépêcher la quantité de personnel en adéquation avec le nombre de clients. « Ce sont exactement les mêmes méthodes appliquées au sein des grands groupes comme Mac Donald’s », confie Olivier Delétoille. Dans un centre-ville ou un village, l’emplacement même de l’officine influe sur l’amplitude d’ouverture. Inutile donc d’ouvrir à tout prix entre 12 et 14 heures en zone pavillonnaire. En cas d’hésitation, rien de tel que de réaliser une période test. Ainsi, l’expérience tentée par Chantal Baylet, installée près d’Oléron, n’a pas été concluante : « Nous avons essayé d’ouvrir en journée continue pendant l’été mais l’initiative n’a pas eu un franc succès, constate-t-elle. L’activité touristique se cantonnant à la plage, les gens ne sortent pas beaucoup en tout début d’après-midi. » En revanche, toutes les officines de cette zone touristique ouvrent le dimanche matin.

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Envisager les réactions des confrères

Allumer la croix le dimanche jusqu’à 13 heures, c’est justement ce qui a assigné madame Salamon-Evrard (Epinay-sous-Senart) devant le conseil de la concurrence, suite aux contestations du syndicat des pharmaciens de l’Essonne. A vouloir gagner la course à l’ouverture, la contre-offensive des confrères peut remettre en cause toute notion de rentabilité. Conséquence, toutes les pharmacies d’un même quartier se calquent sur des horaires à rallonge pour aboutir, au final, à un gain financier réduit à néant. Seule la fatigue des titulaires – qui paient souvent de leur présence ces « petits extras » – augmente. « N’y a-t-il pas intérêt à s’entendre entre pharmaciens d’une même ville ? », propose Olivier Delétoille.

Message reçu à Nanterre où les sept pharmacies du centre-ville n’ont pas attendu comme certains le passage aux 35 heures pour réduire leurs horaires d’ouverture. Depuis plus de quinze ans, un roulement se met en place le week-end, permettant aux officines de n’ouvrir qu’un samedi sur deux et un lundi matin sur trois. Christian Le Floch, président de l’Amicale des pharmaciens de Nanterre, savoure « ce privilège en région parisienne ». « Les clients sont habitués et restent fidèles », ajoute-t-il, satisfait d’avoir pu pérenniser ce système malgré l’arrivée de nouveaux titulaires.

Faire une croix sur les distractions

René Maarek, titulaire de la pharmacie de la Poste à Montreuil, ne s’est pas posé de questions lorsqu’il a acheté l’officine en mai 1995. Il décide alors d’en finir avec les horaires conventionnels pour accueillir les clients de 8 heures à 22 heures. « Je voulais m’assurer de pouvoir rembourser mon emprunt », se justifie-t-il. Il n’a pas hésité non plus lorsque, sous la pression des pharmaciens alentour, il se lance dans l’aventure du 24 heures sur 24. « C’était la seule solution légale pour ne pas être accusé de concurrence déloyale », explique-t-il. Il obtint rapidement un arrêté préfectoral lui permettant d’ouvrir le dimanche. C’est ainsi qu’en trois mois, la pharmacie de la Poste ne baissa plus jamais le rideau. « Il fallait être inconscient pour relever un tel défi seul avec deux préparatrices », avoue-t-il a posteriori. Et pendant un an, l’officine fut son unique lieu de vie. L’arrière-boutique faisant à la fois office de chambre et de pièce pour recevoir les amis.

« Au début, je me suis heurté à de gros problèmes de trésorerie car il a fallu financer un stock supplémentaire. Pour moi, c’est anticommercial de faire déplacer une personne en pleine nuit et de ne pas pouvoir lui fournir le produit demandé, raconte René Maarek. Heureusement le grossiste m’a épaulé, les recettes nocturnes ne me permettant pas immédiatement de pallier les frais de stock. » C’est le chiffre d’affaires généré entre 20 heures et 24 heures qui a compensé les pertes de la nuit. Force est désormais de constater que « inconscience » est devenue rentable.

La pharmacie de la Poste compte actuellement sept assistants pour un chiffre d’affaire en constante évolution. La réussite? Il la doit au bouche-à-oreille, au sens relationnel de son équipe (son CA en journée a doublé) mais surtout à sa motivation.

La qualité de vie avant tout

Si vous passez par Miraumont, dans la Somme, ne vous étonnez pas de trouver l’unique pharmacie du village fermée les mercredis et samedis après-midi. Non, le titulaire n’a pas de problèmes de santé, non, ce n’est pas une situation ponctuelle en attendant de trouver un assistant. Pour Sylvie Bernard, installée dans cette officine depuis sa création en 1989, il s’agit « d’une volonté de départ ». Volonté de privilégier sa qualité de vie. « J’ai fait en sorte de calquer mes horaires d’ouverture sur ceux du médecin », explique-t-elle, tout à fait consciente qu’une telle démarche ne peut pas s’envisager en ville. Mais ces fermetures hebdomadaires ne se font-elles pas au détriment du chiffre d’affaires? «Je suis persuadée – et mon comptable aussi – qu’une extension d’ouverture ne changerait en rien mon chiffre d’affaires », affirme-t-elle. Si les clients ont été un peu surpris au début de trouver porte close, Sylvie Bernard n’a jamais reçu de réflexions désagréables alors que la pharmacie la plus proche se situe à 8 kilomètres. « Avec un sourire, tout passe ! », assure-t-elle. A noter, dans un contexte où la tendance est plutôt à la réduction de l’amplitude d’ouverture, mise en place des 35 heures oblige.