LA GUERRE DES BIOLOGISTES

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Publié le 5 mars 2011
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L’ordonnance du 13 janvier 2010 va conduire les chaînes nationales et locales de biologie médicale à rechercher un statut de leader sur leurs territoires respectifs. Si biologistes financiers et biologistes libéraux sont au coude à coude sur le même marché, ils n’ont pas tous la même puissance de feu. Rapport des forces en présence.

Les retraités et retraitables

Une grande partie des biologistes ont entre 50 et 55 ans. « L’âge opérant, la fiscalité encore bénie sur les plus-values de cession en cas de départ à la retraite, les prix avantageux des transactions, la norme qui arrive à grand pas achèvent de décider les plus récalcitrants à céder, souligne Philippe Taboulet (Audit Révision Conseil). Les biologistes se regroupent en unités économiques et vendront leurs parts en bloc le jour de la retraite. Pour les futurs retraités, la holding sert de cagnotte qu’ils conserveront pendant leur vie professionnelle. En effet, tant que l’argent ne sort pas, il n’est pas taxé dans le patrimoine privé. Il sera judicieux pour ces biologistes d’attendre d’être à un taux d’imposition plus faible au moment de la retraite pour sortir les fonds maintenus volontairement dans la holding. »

Les opportunistes

Certains se frottent les mains : les prix des transactions offrent des occasions exceptionnelles de monétiser un patrimoine professionnel tout en continuant à travailler, au besoin chez l’acheteur, dans une position salariée ou symbolique au capital, et tout en touchant une rémunération coquette de 100 000 euros brut par an.

Les libéraux

Isolé jusqu’alors, par inertie ou par choix, le biologiste libéral ne peut désormais plus affronter les termes d’une équation infernale : qualité, nomenclature, productivité, concurrence des grosses unités… Il doit se regrouper.

Les chaînes de libéraux

Déjà constituées depuis quelques années, les chaînes de biologistes libéraux voient leur attraction se démultiplier. Mélangeant un système de fusion et d’acquisition de laboratoires, leur stratégie est basée sur la position dominante locale. « Dans les grandes agglomérations, on observe des partages de territoire presque institutionnalisés. Ces chaînes représentent entre 20 et 50 sites et entre 20 et 50 millions d’euros de chiffre d’affaires », précise Philippe Taboulet.

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Les chaînes nationales avec des capitaux de nature financière

Beaucoup d’opérations d’achats de laboratoires se font via l’Espagne ou la Belgique, pays où la réglementation sur la détention du capital n’est pas aussi restrictive qu’en France. Une procédure utilisée comme cheval de Troie pour s’introduire sur le marché français via des fonds d’investissement qui financent 25 % du capital des SEL (la limite autorisée), lesquels contournent la loi française par la mise en place de « fonds mezzanine » (emprunts obligataires convertibles en actions). Ces sources de financement à caractère de prêt non remboursable peuvent se transformer à terme en capitaux qui entreront dans les comptes de capitaux propres du bilan.

Toutes les grandes familles du CAC 40 sont présentes dans ces fonds d’investissement. Leur objectif ? Acquérir le plus vite possible en 2011 au moins 10 % de la biologie nationale, puis restructurer pour pouvoir ensuite présenter, à partir de 2012, un CA des unités reprises qui donne la pleine mesure du groupe. Enfin, une fois la rentabilité du capital investi maximisée (création de valeur), l’investisseur vend et profite ainsi de l’effet de levier. « On est sur un schéma purement capitalistique : on rentabilise et on se repasse le mistigri entre fonds d’investissements spécialisés », résume Philippe Taboulet.

« La Commission européenne ne fait pas de distinction entre une société qui exerce la biologie en France et une autre à l’étranger, constate Robert Desmoulins (conseil central de la section G de l’Ordre). La limitation à 25 % de capitaux étrangers est un leurre. Ce qui s’est passé pour la biologie peut se produire aussi pour la pharmacie d’officine. Mais lorsque la biologie s’est restructurée, elle n’avait pas d’exemple devant elle… »

Et les jeunes diplômés ?

Compte tenu des prix, les jeunes biologistes ne pouvant pas racheter des participations, laissent la place à des structures importantes (SEL) cherchant encore à monter en capital, des opérateurs régionaux ou nationaux. « La holding est indispensable pour assurer la fluidité du marché et la mobilité du capital », insiste Philippe Taboulet (Audit Révision Conseil). Comme en pharmacie, les holdings auront vocation à intégrer les jeunes dans le capital. Mais, là aussi, l’article 5.1 du décret de 1992 sur les SEL fait débat chez les biologistes. « Au-delà de l’hypocrisie de la répartition des droits de vote, cet article permet un contrôle en chaîne des laboratoires », affirme Philippe Taboulet.

La mise en place de ces réseaux opaques a fait prendre conscience au Syndicat des biologistes des dangers de l’article 5.1. Mais le ver est déjà dans le fruit. Du fait des prix élevés, de la logique du business model et de la monétisation du patrimoine professionnel, les holdings ne feront qu’accélérer la transmission du capital au profit des opérateurs déjà en place. La biologie s’achemine donc vers une réduction du nombre de diplômés au capital. Face à ces portes qui se ferment, les biologistes salariés seront désormais plus nombreux.

L’Ordre des pharmaciens se bat pour refuser l’investissement spéculatif qui peut se révéler mortel pour l’indépendance de l’acte de la société d’exercice elle-même. « Cette réforme ne répond pas à la pérennité de la profession de biologiste médical et son accès aux jeunes : une profession qui ne se renouvelle pas est une profession qui meurt », met en garde Robert Desmoulins.