Concentration officinale amorcée

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Publié le 3 juillet 2010
Par Magali Clausener
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Les effectifs des pharmaciens sont stables et leur répartition territoriale permet d’assurer un bon accès aux médicaments. Pour autant, les chiffres démographiques de 2009 montrent que la profession est définitivement entrée dans une phase de mutation, notamment en raison d’une augmentation des associations et des fermetures d’officines.

Le 24 juin dernier, l’Ordre a présenté la démographie pharmaceutique au 1er janvier 2010. Les chiffres sont loin d’être catastrophiques, mais ils confirment les évolutions observées les années précédentes. La première : les effectifs des pharmaciens sont stables. En 2009, ils sont 73 332 inscrits à l’Ordre, soit une très légère augmentation, de 0,85 %, par rapport à 2008. Cependant, la section A accuse une infime diminution du nombre de titulaires (– 0,27 %) avec 28 073 inscrits. En 2009, ils n’ont été que 51 à s’y inscrire directement. En revanche, la section D enregistre une croissance de 1,27 % (26 484 inscrits) avec 1 555 nouveaux adjoints. De fait, sur les 2 281 pharmaciens qui apparaissent au tableau de l’Ordre en 2009, près des trois quarts débutent comme adjoints.

Autre tendance qui se confirme : la féminisation de la profession. Les femmes étaient déjà largement majoritaires en section D (81,76 % des effectifs) et en section H (hospitaliers) avec 75,91 %. Leur part dépasse aujourd’hui la moitié des effectifs dans toutes les sections, à l’exception de la section C (pharmaciens de la distribution en gros) où elles sont néanmoins 48,67 %. Au total, les femmes constituent désormais les deux tiers des inscrits à l’Ordre (66,03 %).

5 000 pharmaciens vont partir à la retraite

Cette stabilité des effectifs masque néanmoins un problème : le vieillissement de la population pharmaceutique. En 2000, les pharmaciens âgés de 38 à 42 ans étaient les plus nombreux. Début 2010, ce sont les 48-52 ans qui dominent avec 13 068 inscrits. De fait, l’âge moyen s’élève désormais à 46 ans contre 44 ans en 2002. Dans les prochaines années, près de 5 000 pharmaciens partiront à la retraite. Or, le numerus clausus n’a pas évolué. Doit-il augmenter pour faire face aux nombreux départs à venir ? Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l’ordre des pharmaciens, se pose la question en soulignant néanmoins que le numerus clausus est fixé non pas en fonction des besoins de la population mais de la capacité d’accueil des facultés. « Pour autant, les jeunes diplômés utilisent leur diplôme plus rapidement, note-t-elle. Jusqu’à présent, nous avions environ 20 % d’évaporation des jeunes pharmaciens. Cette année, nous n’avons perdu que 300 diplômés. » Ce qui représente un taux d’évaporation de 11,86 %.

Mais la vraie question concerne le maillage du réseau officinal sur l’ensemble du territoire. « La répartition pharmaceutique est harmonieuse. Il n’y a aucune zone ni rurale ni sensible qui ne soit abandonnée », insiste Isabelle Adenot. Et de se féliciter de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (voir Le Moniteur n° 2835), qui admet les règles de régulation sous réserve qu’elles servent l’intérêt général. De fait, il y a aujourd’hui, en France, 22 386 officines, soit, en métropole, 1 pharmacie pour 2 849 habitants. Pour l’instance ordinale, ces chiffres indiquent que les lois de régulation fonctionnent, sans figer la situation.

Les pharmaciens paient un lourd tribut économique à la crise

Cependant, Isabelle Adenot s’inquiète des effets de la crise : « La crise économique fait payer un très lourd tribut aux pharmaciens. Elle a été un révélateur violent des difficultés du secteur. » En 2009, on compte en effet un nombre croissant de liquidations (9, dont 6 en Ile-de-France). La désertification médicale préoccupe d’ailleurs l’Ordre. En Seine-Saint-Denis, en raison de la disparition de plusieurs médecins, 4 officines ont fermé. Isabelle Adenot annonce en outre que les chiffres de l’année 2010 risquent d’être encore plus sombres en raison des conséquences de la crise : « Nous sommes dans une période de rationalisation. Le nombre de grossistes-répartiteurs a diminué de 10 %. Les pharmacies ferment au fil de l’eau. La restriction est en marche non pas pour des raisons de santé publique mais en raison de la fragilité économique des officines. »

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Jean-Charles Rochard, secrétaire général du Conseil de l’Ordre, est plus nuancé.« Dans certaines communes sans médecin, la pharmacie continue de vivre. En fait, les premières touchées par la crise sont celles qui ont pu ouvrir grâce à une dérogation. Et il y en a eu de nombreuses jusqu’en 1999. Ce qui montre qu’en période de crise, où les marges se réduisent, il faut un certain nombre d’habitants pour que la structure soit viable. »

Mais il est clair que la profession entre de plain-pied dans une phase de mutation, marquée par une amorce de concentration. L’Ordre a rappelé sa volonté de continuer à se battre pour assurer une « bonne répartition » territoriale des pharmacies. Il veut aussi garantir la formation des pharmaciens français face à l’émergence en Europe, en particulier aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, de cursus de trois ans qui forment des « sous-pharmaciens », comme les qualifie Isabelle Adenot, pour contrer le manque de professionnels de santé.

En 2009, on compte 9 liquidations de pharmacies dont 4 en Seine-Saint-Denis, département qui connaît une forte désertification médicale. L’Ordre dénombre également 80 fermetures dont 35 liées à un regroupement et 45 à une cession de clientèle. Les rachats de clientèle sont donc plus importants que les regroupements.

Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l’Ordre, explique qu’ils sont plus simples à effectuer et que les pharmaciens ne sont jamais assurés qu’« un plus un égale bien deux ». Quant aux transferts, la quasi-totalité a été effectuée à l’intérieur de la commune d’implantation (moins de 5 000 habitants en général). Ils sont principalement motivés par la recherche de meilleures conditions techniques d’exploitation et de meilleure commercialité.

Pour la première fois, l’Ordre a établi une carte géographique des premières installations des jeunes titulaires (moins de 40 ans). Ces pharmaciens préfèrent acquérir leur première officine plutôt dans la moitié nord de la France, notamment en Normandie, et dans l’Est, en particulier dans les territoires ruraux (Lorraine, Alsace, Franche-Comté, Bourgogne…) ainsi que dans l’Isère. Cette attirance pour ces régions peut s’expliquer par les prix des pharmacies moins élevés que dans les zones urbaines et dans le sud de la France.

Les jeunes diplômés ont également tendance à rester dans la région de leur faculté de pharmacie pour l’exercice de leur profession.

Cette carte révèle aussi que la moyenne d’âge des titulaires est plus élevée dans le Grand Sud-Ouest et sur le littoral méditerranéen.

Il y a aujourd’hui en France 22 386 officines, soit, en métropole, 1 pour 2 849 habitants et 86 pharmaciens pour 100 000 habitants.

La densité régionale des pharmaciens titulaires et adjoints par habitant (autre nouveauté de l’Ordre cette année) met en exergue cette « répartition harmonieuse », avec cependant un contraste entre le nord et le sud de la France. Au nord d’une ligne La Rochelle-lac Léman, on observe une densité pharmaceutique par habitant qui se situe en dessous de la moyenne (80 pharmaciens pour 100 000 habitants) dans la plupart des départements.

En revanche, dans les zones très urbanisées (Ile-de-France et Nord-Pas-de-Calais), on note un surnombre d’officines.

Dans le sud de la France, les zones de forte densité sont nombreuses, notamment dans les régions touristiques.

DOM-TOM : effectifs en hausse

La section E regroupe les pharmaciens travaillant dans les départements et territoires d’outre-mer. En 2009, ils sont 1583, dont 884 femmes, soit une hausse de 3,8 %, dont 691 titulaires et 507 adjoints. Les effectifs de ces derniers ont d’ailleurs augmenté de 10 %. « Ce n’est plus l’Eldorado. La rentabilité est de plus en plus faible et le nombre de redressements judiciaires augmente. Mais, depuis 2009, la démographie est galopante et nous voyons un flux de transferts entre la métropole et les DOM-TOM, en particulier la Guyane », note Norbert Scagliola, président de la section E. La Guyane ne compte que 40 officines (15 SEL) et 5 laboratoires de biologie médicale (LBM), contre 252 pharmacies (93 SEL) et 53 LBM à la Réunion. A noter que le nombre de biologistes a régressé (– 2,5 %).

En moyenne, 2,3 pharmaciens sont présents par officine. La carte révèle cependant de grandes disparités géographiques. Dans les régions du nord, de l’est et du sud-est de la France, cette proportion varie de 2,3 à plus de 2,6 pharmaciens.

En revanche, le nombre d’officines avec 1 seul titulaire reste élevé dans les zones rurales, à dominante agricole et peu denses en population. C’est notamment le cas de la pointe de la Bretagne, du Centre et de la Corse.

Pour autant, le nombre d’officines avec 1 seul titulaire diminue. Au 1er janvier 2010, 10052 pharmacies sont ainsi exploitées en nom propre, soit une chute de 6,31 % par rapport à 2008. Car le mode d’exercice évolue : les pharmaciens s’associent de plus en plus. Plus de 50 % exercent en association contre moins de 40 % en 2001. Le nombre d’officines exploitées en société d’exercice libéral (SEL) a, logiquement, augmenté de façon importante (+ 14,60 %).

On compte, au 1er janvier 2010, 3 805 SEL à responsabilité limitée (SELARL), 866 SEL entreprises à responsabilité limitée unipersonnelle (SELARL-EURL), 290 SEL par actions simplifiées (SELAS), 4 SEL en commandite par actions (SELCA) et 1 SEL à forme anonyme (SELAFA).

Le nombre de sociétés à responsabilité limitée (SARL) affiche également un fort taux de croissance : + 15,05 %. Quant aux sociétés en nom collectif (SNC), elles accusent un net recul (– 3,85 %) et ne sont plus que 4119. Cette réduction est due au fait que le statut des SNC répond de moins en moins aux besoins de la profession.