Que la force majeure soit avec toi

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Publié le 11 juin 2022
Par Anne-Charlotte Navarro
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Quand une société perd son autorisation d’exercer, peut-elle stopper le paiement des salaires et licencier les salariés ? La notion juridique utile est celle de force majeure prévue par le Code du travail et le Code civil.

LES FAITS

Le 1er janvier 2013, la société ES engage M. H. en qualité d’agent de sécurité. Le 16 décembre 2013, la commission interrégionale d’agrément et de contrôle prononce à l’égard de la société ES une interdiction d’exercer une activité privée de sécurité pendant une durée de cinq ans. Par la suite, la société est placée en liquidation judiciaire. Le salarié saisit le conseil de prud’hommes pour obtenir le paiement de ses salaires du 16 décembre 2013 au 24 avril 2014.

LE DÉBAT

L’article 1218 du Code civil définit la force majeure comme un « événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêchant l’exécution de son obligation par le débiteur. » Dans le cadre d’un contrat de travail, la Cour de cassation avait précédemment jugé que « l’employeur, face à un événement pouvant être qualifié de force majeure, n’a pas à mettre en œuvre une procédure de licenciement ». Le contrat de travail se trouve rompu dès que la force majeure est constatée. C’est sur le fondement de ces textes que la société ES justifiait le non-paiement des salaires de M. H. à compter de son interdiction d’exercer l’activité privée de sécurité. L’employeur ajoute que M. H. a collaboré, pendant la période litigieuse, avec une société concurrente. La cour d’appel de Lyon (Rhône), le 3 juin 2020, considère qu’à compter de son interdiction la société ES n’avait plus le droit de faire travailler le salarié. Or, s’il incombe à l’employeur de payer la rémunération et de fournir du travail au salarié qui se tient à sa disposition, les juges estiment que rien, dans les preuves apportées, ne démontre que M. H. avait effectué une prestation de travail à temps complet pour la société ES ou qu’il était resté à sa disposition. La société ES pouvait donc ne pas rémunérer M. H. Le salarié forme un pourvoi en cassation.

LA DÉCISION

Le 11 mai 2022, la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel. Les hauts magistrats rappellent que la force majeure permet à l’employeur de s’exonérer de tout ou partie des obligations nées de l’exécution d’un contrat de travail, à condition que l’événement soit extérieur, imprévisible lors de la conclusion du contrat, et irrésistible dans son exécution. Ils estiment que la cour d’appel n’a pas apprécié si l’interdiction dont était frappée l’entreprise ES était un événement de force majeure.

L’affaire est donc renvoyée devant une autre cour d’appel qui devra déterminer si l’employeur s’était trouvé dans un cas de force majeure justifiant le non-paiement des salaires. Cette décision est intéressante pour les pharmacies qui sont elles aussi soumises à une autorisation d’exercer. En 2003, la Cour de cassation avait jugé qu’un cyclone ou un incendie des locaux de l’entreprise étaient des cas de force majeure car la destruction de l’entreprise était totale sans réexploitation possible ou envisageable. Ce qui laisse à penser qu’une autorisation définitive d’exercer pourrait être qualifiée de force majeure. Dans le cadre d’une interdiction d’exercer temporaire, la réexploitation est possible ou envisageable juridiquement, même si financièrement ce n’est pas toujours le cas. Il revient donc à l’employeur de prouver l’impossibilité de poursuivre l’exploitation de l’entreprise.

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Source : Cass. soc., le 11 mai 2022, n° 20-18.372.

À RETENIR

Un événement de force majeure est un fait irrésistible, imprévisible lors de la conclusion du contrat et extérieur aux parties.

Le Code du travail permet à l’employeur de mettre fin au contrat de travail sans formalité à la suite d’un événement de force majeure.

Il y a force majeure quand la réexploitation de l’entreprise n’est juridiquement pas possible ou envisageable.