L’espion s’est mis à table

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Publié le 16 septembre 2023
Par Anne-Charlotte Navarro
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Décidant de contrôler la qualité de service apportée par les salariés qu’il emploie, un employeur a recours au client mystère. A la suite de sa visite dans l’entreprise un salarié est licencié. Serait-ce un piège ?

LES FAITS

 

Le 1er novembre 2006, M. Y. est engagé par la société A en qualité d’employé de restaurant. Après la visite d’un client mystère, il est licencié pour faute le 22 août 2016. L’employeur lui reproche notamment de ne pas avoir suivi les procédures d’encaissement propres à l’entreprise et de ne pas avoir remis au client un ticket de caisse. M. Y. conteste la validité de son licenciement.

LE DÉBAT

 

Le contrat de travail confère à l’employeur un pouvoir de direction sur les tâches que le salarié doit accomplir. Il exerce ce pouvoir en planifiant et en vérifiant la réalisation desdites tâches. La jurisprudence considère que le contrôle de cette exécution ne doit pas être déloyal et doit respecter la vie privée des salariés. En l’espèce, M. Y. estime que la méthode du client mystère employée par la société A devrait être qualifiée de stratagème déloyal. Selon lui, la preuve de sa faute ainsi obtenue ne permet pas de justifier son licenciement. Dans de précédentes affaires, la haute juridiction avait qualifié de déloyale la visite de clients mystère estimant que le salarié avait été piégé. M. Y. demande donc l’application de cette jurisprudence. En réponse, l’employeur indique que ce mode de contrôle avait été porté à la connaissance des représentants du personnel et des salariés par voie d’affichage, de sorte que chacun devait avoir conscience qu’il pouvait être utilisé à n’importe quel moment. Le 1er juillet 2021, la cour d’appel d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) juge le licenciement de M. Y. valable. Les magistrats retiennent que « les salariés avaient été informés de la mise en œuvre de ce système d’investigation et de l’objectif de ce dispositif ». M. Y. estime, lui, que l’objectif de ce système n’avait pas été clairement indiqué. Il forme un pourvoi en cassation.

LA DÉCISION

 

Le 6 septembre 2023, la Cour de cassation confirme la décision de la cour d’appel. Les hauts magistrats rappellent que L’article L.1222-3 du Code du travail impose à l’employeur d’informer les salariés avant de mettre en œuvre des méthodes et techniques d’évaluation professionnelle. Ils soulignent que l’employeur démontre avoir « préalablement informé le salarié de l’existence de ce dispositif d’investigation comme en atteste la production, d’une part, d’un compte rendu de réunion du comité d’entreprise du 18 octobre 2016 faisant état de la visite de clients mystère avec mention du nombre de leurs passages et, d’autre part, d’une note d’information des salariés sur le dispositif dit du “client mystère”, qui porte la mention “Pour affichage septembre 2015” et qui explique son fonctionnement et son objectif ». Cette information rend donc la méthode utilisée licite, le licenciement de M. Y. est donc valable.

 

Un procédé de contrôle des salariés mettant en place un stratagème peut valablement prouver une faute, si les salariés ont préalablement à sa mise en place été informés de sa potentielle utilisation. La Cour de cassation applique la même règle pour l’usage des enregistrements de vidéosurveillance comme moyen de preuve d’un licenciement.

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À retenir

Les fautes reprochées à un salarié ne peuvent pas être prouvées par la mise en place d’un stratagème ou d’un procédé déloyal.

La visite d’un client mystère mandaté par l’employeur n’est pas en elle-même un mode de preuve déloyal.

Le rapport du client mystère peut justifier une sanction si les salariés ont été préalablement informés du recours à ce type de contrôle.

  • Source : Cass. Soc. 6 septembre 2023, n° 22-13.783