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L’aléa thérapeutique enfin indemnisé
Attendue depuis près de trente ans, l’indemnisation des aléas thérapeutiques est enfin encadrée par une loi. Une avancée considérable pour les droits des malades, à une lourde exception près : les centaines de milliers de victimes de l’hépatite C contaminées par transfusion sanguine ne sont pas prises en compte.
Il aura fallu attendre près de trente ans et l’ultime session parlementaire avant l’élection présidentielle pour voir l’indemnisation des victimes d’aléas thérapeutiques s’inscrire dans la loi française. Beaucoup n’y croyaient plus, pensant que la question serait encore renvoyée à d’autres calendes… Cette fois-ci, ils ont eu tort. La loi du 4 mars 2002 « relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé » comporte un volet ouvrant droit à réparation des conséquences des risques sanitaires.
Désormais, « lorsque la responsabilité d’un professionnel, d’un établissement, service ou organisme […] n’est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à réparation des préjudices du patient au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci ». L’indemnisation est basée sur un taux d’incapacité permanente ou temporaire d’au moins 25 % et sera calculée à partir d’un barème défini par décret en Conseil d’Etat. Ce droit à indemnisation concerne le malade lui-même, mais ses ayants droit pourront en bénéficier s’il est décédé en cours de procédure ou immédiatement, sans avoir pu engager celle-ci.
Avant la loi, le cadre juridique de réparation des risques sanitaires reposait sur un régime jurisprudentiel qui avait fortement évolué ces dernières années vers un alourdissement de la responsabilité des professionnels de santé. Mais toutes les procédures n’aboutissaient pas, loin de là…
Afin de faciliter le règlement amiable des litiges, une commission régionale de conciliation et d’indemnisation est créée dans chaque région. Présidées par un magistrat, ces commissions sont composées de représentants des malades et des usagers du système de santé, de professionnels de santé, de responsables d’établissements et services de santé, ainsi que de représentants de l’Office national d’indemnisation – également institué par la loi du 4 mars 2002 – et de sociétés d’assurances. Dans un délai de six mois à compter de sa saisine, la commission régionale émet un avis ouvrant droit ou non à réparation versée par l’Office national d’indemnisation.
Si la commission régionale estime le dommage indemnisable au titre de la solidarité nationale, c’est-à-dire en l’absence de faute, il revient donc à l’Office national d’adresser une offre d’indemnisation, dans un délai de quatre mois, à la victime ou à ses ayants droit. Ceux-ci peuvent la refuser et intenter une action en justice contre l’Office.
Le montant de l’enveloppe qui permettra à l’Office de proposer une indemnisation n’est pas encore fixé.
Cet Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des affections nosocomiales est un établissement public placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé. Ses président et directeur sont nommés par décret. Ses membres sont pour moitié des représentants de l’Etat, pour l’autre des personnalités qualifiées ainsi que des représentants des usagers, des professionnels et établissements de santé, des organismes d’assurance maladie et du personnel de l’Office.
Si ces dispositions constituent une incontestable avancée pour les droits des malades, elles ne sont cependant pas applicables pour les 600 000 à 800 000 victimes de l’hépatite C par transfusion sanguine avant la promulgation de la loi. Une très regrettable limite budgétaire à la solidarité nationale…
Chez nos voisins européens
Exception faite de l’Italie, l’Allemagne, le Danemark, la Suède, le Royaume-Uni et la Suisse ont mis en place des procédures spécifiques permettant d’obtenir une indemnisation sans devoir recourir aux tribunaux.
– En Allemagne, les ordres régionaux des médecins ont institué des instances de médiation dès 1975, avec pour objectif de parvenir à un accord amiable. Gratuite et rapide (entre neuf et treize mois), la procédure débouche sur un règlement définitif dans 90 % des cas.
– Au Danemark et en Suède, la loi reconnaît un droit à l’indemnisation aux victimes d’accidents médicaux survenus dans un hôpital public. Une association pour l’assurance des patients traite toutes les demandes d’indemnisation, mais seuls les préjudices supérieurs à environ 1 370 euros sont indemnisables.
– Au Royaume-Uni, l’action en justice était le seul moyen d’obtenir réparation financière jusqu’en 1999. Depuis la réforme de la procédure civile et la création d’un protocole préjudiciaire pour la résolution du contentieux médical, les transactions amiables sont encouragées.
– En Suisse, responsabilité médicale et aléas thérapeutiques sont appréciés selon les règles du droit commun et l’indemnisation est réglée par les tribunaux. Afin de favoriser les transactions amiables, la Fédération des médecins helvétiques a cependant institué, en 1982, deux bureaux d’expertises judiciaires. Ceux-ci mettent à disposition des parties un réseau d’experts chargés d’établir si la responsabilité civile du médecin est engagée. – En Italie, responsabilité médicale et aléas thérapeutiques sont appréciés selon les règles du droit commun. Les dossiers d’indemnisation sont… en principe réglés par les tribunaux au vu du rapport d’expertise médicale.
L’accueil mitigé des associations de malades
Nicolas Brun, animateur du Collectif interassociatif sur la santé (23 associations)
Après plus d’une vingtaine de propositions de loi, et alors que les juges se substituaient au législateur depuis 1997, voici enfin un cadre clairement défini pour l’aléa thérapeutique. Si le collectif se félicite de la création d’une procédure d’indemnisation et de la réforme de l’expertise, nous regrettons cependant que le dispositif ne soit pas égalitaire pour les victimes de l’hépatite C par rapport aux victimes d’autres aléas. Par ailleurs, même si le taux d’incapacité permanente retenu – au moins 25 % – pour donner droit à réparation est inférieur à ce que nous craignions puisque certains avaient parlé de 50 %, il est réservé à des aléas ayant des conséquences graves pour leurs victimes : une IPP de 25 % correspond, par exemple, à la perte d’un oeil…
Edmond-Luc Henri, président d’honneur de l’Association française des hémophiles
Il est très regrettable que les victimes de l’hépatite C contaminées avant la promulgation de cette loi soient exclues du nouveau dispositif qui, à mon avis, ne sera qu’un coup d’épée dans l’eau : les associations de patients vont pousser ceux-ci à déposer des recours. Nous estimions qu’il fallait un fonds d’indemnisation comme celui pour le sida. L’idée était portée par Bernard Kouchner dès 1993, mais a toujours été repoussée pour des raisons budgétaires. En fait, la nouvelle loi ne fait que geler les dernières jurisprudences de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat – qui retournaient déjà la charge de la preuve – en les améliorant un peu.
Michel Lefebvre, président de St’Halt tort tue, principale association française de défense des patients traités à la cérivastatine Bayer
Dans l’affaire nous concernant, il n’y a pas aléa thérapeutique, mais conséquences d’un traitement à partir d’un produit sous-évalué, hâtivement mis sur le marché, dangereux en lui-même et encore plus dans son association avec d’autres produits. Quant au volet « aléa thérapeutique » de la loi sur les droits des malades, je subodore un arrière-fond corporatiste pour faire dériver une responsabilité médicale ou industrielle vers la responsabilité collective de l’Etat. Par ailleurs, je crains que l’Office national d’indemnisation et les commissions régionales de conciliation et d’indemnisation soient des dispositifs très lourds.
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