La discipline subtile du licenciement

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Publié le 19 mars 2022
Par Anne-Charlotte Navarro
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Un employeur peut transformer une procédure de sanction disciplinaire en licenciement pour insuffisance professionnelle. C’est le contenu de la lettre qui fera foi.

LES FAITS

Le 3 janvier 2000, M. P. est engagé par la société R au poste d’assistant responsable de ligne de produits. En 2015, il est promu directeur d’exploitation générale. Le 14 novembre 2016, M. P. est convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire. Après cet entretien, la société R lui propose un changement de poste avec réduction de sa rémunération. Il refuse cette proposition. Le 27 décembre 2016, M. P. est licencié pour insuffisance professionnelle. Il saisit le conseil de prud’hommes pour contester cette rupture.

LE DÉBAT

L’article L.1331-1 du Code du travail dispose que « toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié qu’il considère comme fautif est une sanction disciplinaire ». Le Code du travail liste diverses sanctions possibles allant de l’avertissement au licenciement pour faute. En l’espèce, la société R a engagé une procédure disciplinaire à l’encontre de M. P., estimant que la promotion de ce dernier est un échec. L’employeur lui reproche son insuffisance de résultat et des difficultés de management. Et choisit une rétrogradation avec réduction de sa rémunération. Conformément à la jurisprudence, le salarié a le choix de refuser cette modification. Ce que M. P. a fait. Son employeur rompt le contrat non pas pour motif disciplinaire mais pour insuffisance professionnelle. Or, selon le salarié, ce changement de motif rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le 25 juin 2020, la cour d’appel d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) donne raison à M. P. Les juges retiennent que l’employeur ayant engagé une procédure de rétrogradation disciplinaire ne peut pas ultérieurement changer le motif de la procédure de licenciement engagée à la suite du refus du salarié. La société R était donc contrainte de maintenir le licenciement pour faute. Elle forme un pourvoi en cassation. Elle fait valoir que l’article L.1232-6 du Code du travail dispose que l’appréciation par les juges du motif de licenciement doit se faire non pas au regard d’une procédure antérieure mais uniquement au vu de la lettre de licenciement reçue par le salarié.

LA DÉCISION

Le 9 mars 2022, la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel. Les magistrats rappellent que la rétrogradation disciplinaire avec baisse de la rémunération est soumise à l’accord du salarié. Face à son refus, l’employeur est libre de le licencier ou non. Au sujet de la procédure de licenciement à suivre, la haute juridiction retient l’interprétation de la société R, estimant que « c’est le motif de la rupture mentionné dans la lettre de licenciement qui détermine le caractère disciplinaire ou non du licenciement, peu importe la proposition faite par l’employeur d’une rétrogradation disciplinaire, impliquant une modification du contrat de travail refusée par le salarié. »

L’employeur dispose donc d’un droit à l’erreur. A la suite d’une procédure disciplinaire parfois bancale – et quand le dossier le permet – il peut sauver la procédure de licenciement en optant pour un licenciement sans faute, qui est moins sujet à contestation. Ce changement n’est pas sans conséquences financières puisque le salarié licencié pour faute grave ou lourde ne perçoit ni indemnité de préavis ni de licenciement ; contrairement à un licenciement pour insuffisance professionnelle. Ce peut être le prix à payer pour éviter une procédure judiciaire de plusieurs années.

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Source : Cass. soc., 9 mars 2022, n° 20-17.005.

À RETENIR

Face à un comportement fautif, l’employeur peut appliquer une sanction disciplinaire allant de l’avertissement au licenciement en passant par la rétrogradation.

Le salarié doit donner son accord pour être rétrogradé, cette sanction ayant une incidence sur sa rémunération.

Si le salarié refuse sa sanction, l’employeur peut engager une procédure de licenciement pour motif disciplinaire ou tout autre motif.