DES DROITS, MAIS AUSSI DES DEVOIRS

Réservé aux abonnés
Publié le 31 août 2013
Par Chloé Devis
Mettre en favori

Effectifs réduits, proximité entre l’employeur et ses salariés, clientèle d’habitués… Le contexte de l’officine rend particulièrement poreuse la frontière entre la sphère professionnelle et la sphère personnelle. Si une alchimie réussie favorise une bonne ambiance de travail, le mélange des genres peut dans certains cas s’avérer explosif. Cinq conseils pour prévenir les dérapages.

1 Une affaire de dosage

La loi protège la vie privée de chacun, y compris sur le lieu et pendant le temps de travail. Téléphoner à un proche ou discuter avec un collègue ne peut être banni de l’entreprise. De même, le manager ne peut s’immiscer dans les choix personnels de ses employés et encore moins y trouver à redire… Néanmoins, « l’expression de ces libertés doit être compatible avec les intérêts de l’entreprise. C’est ainsi que l’employeur peut y apporter des restrictions si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché », fait valoir Anne-Lise Douat, consultante et spécialiste du droit du travail chez Gereso. Autrement dit, « le respect de la vie privée se heurtant au pouvoir de contrôle de l’employeur, le débat va se cristalliser autour de la notion d’abus », explique Christophe Noël, avocat spécialiste en droit social.

2 Prouver et sanctionner en toute légalité

Les précautions sont de mise pour démontrer une faute. Ainsi, « aucune preuve ne peut être tirée d’un dispositif de surveillance, s’il constitue un traitement de données personnelles, s’il n’a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés, soumis à la consultation des représentants du personnel et déclaré à la Commission nationale de l’informatique et des libertés », rappelle Anne-Lise Douat.

En cas d’atteinte à la vie privée des salariés, le Code pénal prévoit jusqu’à un an d’emprisonnement et/ou 45 000 euros d’amende pour la personne physique, 225 000 euros d’amende pour la personne morale.

Prudence lors de la sanction des abus relatifs à des faits de vie privée. Celle-ci peut aller du simple avertissement au licenciement pour cause réelle et sérieuse. Mais attention, « le licenciement pour faute est exclu, sauf s’il entre dans le fait reproché un élément relevant du Code du travail », avertit Christophe Noël.

3 Usages privés d’outils professionnels : une tolérance encadrée

Il existe une tolérance concernant l’utilisation du téléphone professionnel pour des communications d’ordre privé. Celles-ci doivent rester ponctuelles et d’une durée limitée. A défaut, le titulaire pourra sanctionner le salarié, relevés téléphoniques à l’appui.

Publicité

L’utilisation de la messagerie professionnelle dans un cadre d’échanges privés n’est pas non plus répréhensible en soi. Reste que « cet usage doit être raisonnable et ne pas affecter ni le trafic normal des messages professionnels, ni l’image de l’entreprise par le caractère outrageant des propos ou du contenu », nuance Anne-Lise Douat.

Tout mail envoyé via l’adresse électronique de l’entreprise ou fichier présent sur l’ordinateur est présumé avoir un caractère professionnel. Il peut donc être consulté librement par l’employeur, à moins d’être explicitement identifié comme personnel. Dans ce cas, il ne pourra être ouvert qu’en présence ou avec l’autorisation du collaborateur.

De manière générale, surfer sur Internet à des fins non professionnelles est également acceptable si la démarche n’empiète pas abusivement sur le temps de travail. Cependant, c’est la nature des sites consultés qui peut être incriminée. L’entreprise peut interdire l’accès aux sites de son choix.

4 Comportements personnels contre valeurs d’entreprise

Le Code du travail est formel, un employeur ne peut fonder ses décisions à l’égard de ses salariés (embauche, sanction, promotion, rupture…) sur des éléments extérieurs au travail comme le sexe, la religion, l’apparence physique, la nationalité, les mœurs… A défaut, il est passible de poursuites civiles et pénales pour attitude discriminatoire et encourt des peines pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

En revanche, la notion de trouble objectif caractérisé à l’encontre de l’entreprise peut justifier une sanction relative à un fait de vie privée du salarié.

Ainsi, la tenue vestimentaire peut poser problème : « l’employeur peut imposer le port de vêtements de protection pour des raisons de sécurité ou d’un uniforme dans le cadre d’une stratégie de marque. Par ailleurs, il est en droit d’exiger du salarié une tenue propre, décente et correcte », relève Anne-Lise Douat.

Quant aux convictions idéologiques et religieuses, là encore, dans l’absolu, pas question pour l’employeur de s’en mêler… sauf en cas d’« abus du droit d’expression », note Anne-Lise Douat. « Des restrictions peuvent être apportées, par exemple à la liberté de manifester sa religion, si elles sont justifiées par l’intérêt de l’entreprise, la nature des fonctions du salarié et proportionnées au but recherché. » Ainsi, complète la consultante, « l’employeur ne peut interdire de façon générale et absolue le port d’un insigne religieux sauf pour raisons objectives tenant à des impératifs commerciaux, de sécurité ou de santé et d’hygiène ».

Le prosélytisme manifeste peut en revanche justifier un licenciement pour faute, comme en atteste la jurisprudence.

De même, la liberté d’expression hors des murs de l’entreprise a ses limites. Ainsi, la divulgation de secrets professionnels ou la tenue de propos insultants en public à l’encontre de l’entreprise, de l’employeur ou des collaborateurs est punissable sur le plan pénal. « La jurisprudence est sévère en ce qui concerne les dérives observées sur les réseaux sociaux », souligne Christophe Noël. A noter qu’un « mur » Facebook dont la visibilité est autorisée aux « amis d’amis » est considéré comme un espace public…

5 Formaliser les règles

« Le développement des nouvelles technologies et l’accroissement des contraintes économiques ont favorisé une imbrication des temps liés au travail et de ceux liés à la vie personnelle des salariés, d’où la nécessité de poser un cadre », estime Anne-Lise Douat. Plusieurs supports peuvent être mis à profit dans ce sens comme un guide des bonnes pratiques à l’embauche, un règlement intérieur ou encore une charte informatique.

« La mise en place de ces outils devra être assortie de la plus grande vigilance quant au respect des règles édictées et à l’adoption d’un comportement en adéquation avec les intérêts de l’entreprise. Ce souci implique pour le manager une réelle proximité avec ses équipes, garante d’une bonne information et d’un dialogue constant qui permettra d’éviter ou de recadrer rapidement les déviances en termes de comportements ou de propos », préconise Anne-Lise Douat.

La bonne distance du manager

Pas toujours facile, pour le titulaire, d’éviter les impairs avec ses collaborateurs… « Mieux vaut avoir jaugé le profil psychocomportemental de son interlocuteur avant de lui faire une réflexion ou de lui poser une question d’ordre personnel, aussi anodine soit-elle, recommande Laure-Emmanuelle Coffin, dirigeante de Praxipharm. Autant certains salariés apprécient de pouvoir partager joies et contrariétés conjugales ou familiales avec leurs collègues voire leur patron, d’autres, focalisés sur leurs objectifs professionnels, préservent jalousement leur intimité et trouveront inopportun que l’on s’engage sur ce terrain-là avec eux. » A l’inverse, les premiers risquent d’interpréter l’attitude distante d’un manager comme un manque de considération à leur égard. Le titulaire lui-même, en effet, possède sa propre « couleur » comportementale qui influera sur ses rapports avec ses collaborateurs… souvent choisis sur le même modèle que lui, mais pas toujours. Or si les équipes « mixtes » ont l’avantage de la complémentarité, reste à user de diplomatie pour éviter les éventuelles frictions.