Conserver sa voiture peut conduire à l’interdiction de gérer

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Publié le 29 août 2020
Par Anne-Charlotte Navarro
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Un dirigeant de société peut être poursuivi à titre personnel et faire l’objet d’une interdiction d’exercer un mandat social pour ne pas avoir remis en cause le contrat de location de sa voiture de fonction.

LES FAITS

Le 8 juillet 2013, la société d’exercice libéral à responsabilité limitée P (SELARL P) est mise en redressement judiciaire à la suite de plusieurs factures impayées par des clients. Le 3 septembre, elle est placée en liquidation. Le liquidateur nommé décide d’assigner son dirigeant, M. B., en responsabilité pour insuffisance d’actif. Il demande au juge de prononcer une interdiction de gérer car, malgré les difficultés de la société, M. B. a continué à lui faire payer les traites d’une voiture de fonction utilisée à titre personnel.

LE DÉBAT

La société d’exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) permet au dirigeant de ne pas répondre des dettes de l’entreprise au-delà du montant du capital social, sauf en cas de faute de gestion. En l’espèce, le liquidateur a estimé que M. B. avait commis une telle faute en ne tenant pas une comptabilité conforme aux exigences légales. L’absence de comptabilité a conduit la société P à une procédure de redressement. Le liquidateur demande d’ajouter une interdiction de gérer une entreprise. En effet, Il estime que le dirigeant a abusivement détourné une partie de l’actif de la société en utilisant personnellement un véhicule dont le loyer de 1 700 € est payé chaque mois par celle-ci. Malgré les difficultés financières, les traites ont toujours été honorées par la SELARL P. Le 5 juillet 2018, la cour d’appel de Douai (Nord) retient l’argumentaire du liquidateur. M. B. est condamné à verser 300 000 € pour insuffisance d’actif. La cour retient que « la légèreté du dirigeant à tenir une comptabilité complète et actualisée ne lui a pas permis une gestion efficace et sincère de sa société à laquelle se doit tout chef d’entreprise ». Les magistrats ajoutent que « la non remise en question de la location de son véhicule dont le montant était manifestement disproportionné au regard des capacités financières de la société » sont des faits passibles d’une interdiction d’exercer de 6 ans. M. B. forme un pourvoi devant la Cour de cassation. Il estime que cette sanction est disproportionnée par rapport à la gravité des faits qui lui sont reprochés. Il évoque que sa société, créée en 2004, n’a connu des difficultés qu’en 2012 en raison des impayés des clients. Il fait valoir qu’il est un professionnel reconnu dans son secteur d’activité, et impliqué dans la gestion de sa société.

Dès le courant de l’année 2012, il a entrepris des démarches amiables et judiciaires pour recouvrer les créances, procédé à des licenciements économiques en août 2012, pris l’attache de ses principaux créanciers pour obtenir un échéancier. Il ne peut, selon lui, s’être rendu coupable d’un détournement d’actif.

LA DÉCISION

Le 17 juin 2020, la Cour de cassation décide de rejeter le pourvoi de M. B. Les magistrats estiment que l’absence de tenue d’une comptabilité sérieuse et la non remise en cause du contrat de location de sa voiture personnelle caractérisent respectivement une faute de gestion et un détournement d’actif. En d’autres termes, il a poursuivi son activité déficitaire dans son intérêt personnel. Dans une affaire similaire, en mars 2020, la Cour de cassation a retenu qu’un dirigeant pouvait se verser un salaire représentant 13 % du chiffre d’affaires, quitte à mettre en péril la société (chambre commerciale de la Cour de cassation, le 11 mars 2020, n° 18-24052). Le ou les gérants d’une pharmacie sous le régime de la SELARL doivent donc être prudents pour éviter d’être tenus de régler tout ou partie des dettes de la société et de subir une interdiction de gérer.

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Source : Cass. com., 17 juin 2020 n° 18-23088.

À RETENIR

En cas de faute de gestion, le ou les dirigeants d’une SELARL sont responsables personnellement des dettes de la société.

Face à des difficultés, la non-remise en cause d’un avantage, tel qu’une voiture de fonction pour le ou les dirigeants, peut être considérée comme un détournement d’actif.

Le liquidateur judiciaire a le pouvoir de saisir le juge pour faire condamner le dirigeant de la société qu’il doit liquider.