LE GRAND CHAMBARDEMENT

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Publié le 25 juin 2011 | modifié le 19 août 2025
Par Magali Clausener et Matthieu Vandendriessche
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Trop souvent négligée par les professionnels de santé, oubliée par les autorités, la pharmacovigilance doit changer. Du tout au tout. C’est ce que préconisent deux rapports rendus cette semaine, l’un par l’Igas, l’autre par la mission d’information sur le Mediator de l’Assemblée nationale.

Rien ne sera plus comme avant. La réforme de la pharmacovigilance (PV) est une nécessité absolue, que confirment deux rapports, rendus publics les 21 et 22 juin, l’un émanant de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales), l’autre de la mission d’information sur le Mediator de l’Assemblée nationale, présenté à la Commission des affaires sociales. Très critiqué, le dispositif français de pharmacovigilance est désigné comme le maillon faible du système de sécurité sanitaire.

La simplification de la notification

C’est un vœu de la mission parlementaire, comme de l’Igas. La déclaration des effets indésirables doit être simplifiée. De même, en pratique, l’unique moyen de déclaration, par courrier postal, est jugé anachronique. On devrait pouvoir réaliser cette démarche sur Internet, par fax ou par téléphone, comme c’est déjà le cas aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. La déclaration doit pouvoir être remplie en quelques minutes, indique la mission parlementaire. Quel que soit le moyen de notification utilisé, le professionnel doit recevoir un accusé de réception, propose l’Igas. De plus, pour que sa démarche lui semble efficace, un retour d’information doit parvenir au notificateur. « Il doit porter sur la fréquence des cas similaires dans la base nationale de pharmacovigilance », estime l’Igas. Les délais entre la notification et la prise en compte par l’AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) doivent être réduits. « La déclaration pour les pharmaciens ne concerne que les médicaments qu’ils délivrent, ce qui est trop restrictif », considère par ailleurs l’Igas. Quant aux autres professionnels de santé, pour lesquels cette mission est facultative, ils doivent y être incités, notamment en leur garantissant qu’ils ne seront pas inquiétés en effectuant cette déclaration. Au Royaume-Uni, un triangle noir sur la notice du médicament rappelle qu’ils doivent faire l’objet d’une surveillance approfondie. Ce modèle, prévu par une directive européenne de décembre 2010, doit voir le jour dans notre pays, complété par l’apposition d’un logo sur la boîte de médicament.

En outre, l’Igas souligne l’importance d’élargir le champ des notificateurs. Elle se félicite que les patients et leurs associations puissent désormais déclarer les effets indésirables susceptibles d’être liés aux médicaments et produits de santé (décret du 10 juin 2011). Concernant les professionnels de santé, l’Igas préconise également des mesures permettant de dissocier le développement professionnel continu (DPC) et l’information médicale de l’influence des laboratoires. La mission de l’Assemblée nationale note qu’un fonds alimenté par l’industrie pharmaceutique pourrait être constitué pour financer une formation indépendante.

La refonte au sein de l’Afssaps

Deux (!) personnes s’occupent aujourd’hui de la base nationale de données de pharmacovigilance de l’Afssaps. C’est trop peu pour l’Igas. De plus, les pratiques de codage ne sont pas harmonisées et la connexion au système est à la peine. L’Afssaps n’utilise pas de dispositif automatisé de détection de signaux, contrairement à la plupart des pays, grince l’Igas. Il apparaît pourtant indispensable. Au Royaume-Uni, depuis 2008, un seuil statistique empirique est fixé, au– delà duquel l’effet indésirable signalé doit faire l’objet d’une évaluation. « L’application d’une telle méthode doit être mise en œuvre sans plus tarder en France », estime l’Igas. L’Afssaps doit développer la pharmaco-épidémiologie, en mettant l’accent sur l’évaluation du médicament post-AMM. L’agence doit aussi pouvoir bénéficier de données cliniques, sur le mode de vie et sur la pathologie du patient, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. L’Afssaps doit avoir accès « sans restriction » aux bases de données de l’Assurance maladie, avec les précautions d’usage en termes de confidentialité des informations, appuie l’Igas. Cette dernière propose en outre la création d’un comité du médicament réunissant les acteurs du système sanitaire. Elle demande que l’Afssaps soit plus exigeante vis-à-vis des laboratoires, en réclamant les données complètes des essais cliniques ou en fixant des délais contraints pour des études complémentaires. L’Afssaps doit donner priorité au principe de précaution, par rapport aux risques de recours judiciaire des fabricants. En outre, les départements de pharmacovigilance et de mise sur le marché doivent être bien distingués, restant tous deux sous l’autorité de l’Afssaps. Tout comme la mission parlementaire, l’Igas prône l’intervention d’experts internes, qui cesseraient tout lien d’intérêt avec l’industrie à leur prise de fonction. Plus généralement, sur la question des liens d’intérêt, la mission de l’Assemblée nationale propose de les rendre accessibles au public par le biais des Ordres professionnels.

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La pharmacovigilance repensée en région

L’Igas préconise que chaque région soit dotée d’un seul centre régional de pharmacovigilance (CRPV), qui ne serait plus chargé du traitement des notifications, mené au niveau national. Les CRPV seraient installés au sein des agences régionales de santé (ARS), placés sous leur autorité, mais sous pilotage de l’Afssaps pour les activités d’envergure nationale.

L’ESSENTIEL

• Le rapport de l’Igas propose, selon ses propres termes, une « réforme d’ampleur » de la pharmacovigilance en France. Point fort de cette refonte, la simplification de la déclaration.

• La mission des centres régionaux de pharmacovigilance serait reprécisée.

• L’expertise interne à l’Afssaps paraît désormais incontournable. Et l’actuelle procédure d’AMM, dont le nom même doit être changé, serait modifiée pour intégrer une notion de « valeur ajoutée thérapeutique ».

• La mission d’information sur le Mediator de l’Assemblée nationale préconise de dérembourser les médicaments peu efficaces. Elle demande aussi l’obligation pour les médecins d’inscrire la mention hors AMM sur l’ordonnance.

Bases inédites pour l’évaluation du médicament

L’Igas veut changer le terme AMM, répondant aux aspirations commerciales du fabricant, par « évaluation thérapeutique » ou « appréciation de la valeur ajoutée du médicament », permettant de réguler l’accès des médicaments au marché. Elle demande également l’accès public à toutes les études cliniques préalables. Les médicaments devront montrer leur efficacité versus molécules existantes, et non contre le seul placebo. C’est aussi le point de vue de la mission parlementaire. L’Igas préconise l’introduction d’un principe d’évaluation médico-économique unique appréciant le coût et l’efficacité d’un nouveau médicament, en remplacement de l’évaluation du service médical rendu et de son amélioration.

Une « évaluation de confirmation de la valeur thérapeutique » serait menée au bout de 5 ans. L’ensemble de la pharmacopée française doit être réévaluée avec l’objectif de retenir les médicaments essentiels à la couverture des besoins de santé publique, considère l’Igas. Cette dernière préconise également de retirer du marché des médicaments déremboursés pour des raisons de sécurité sanitaire. Pour sa part, la mission parlementaire demande que les médicaments à service médical rendu insuffisant ne soient plus pris en charge. En outre, elle propose que les médecins aient désormais obligation d’inscrire « explicitement » sur l’ordonnance la mention « hors AMM ».

REPÈRES

Le 21 juin, le rapport de l’Igas sur « la pharmacovigilance et la gouvernance de la chaîne du médicament » est rendu public. Il comporte 48 recommandations. Commandé par le ministère de la Santé en novembre 2010, ce rapport fait suite à une première enquête consacrée à Mediator, dévoilée en janvier dernier.

Le 22 juin, la mission d’information sur le Mediator de l’Assemblée nationale présente son rapport à la Commission des affaires sociales. Les députés ne préconisent pas moins de 55 propositions pour une refonte de la chaîne du médicament.

Le 23 juin, le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, reçoit le rapport d’Edouard Couty sur les Assises du médicament.