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Le casse-tête du prélèvement à la source
Les jeux sont faits ! Bien qu’opposé à une réforme déjà en vigueur dans la quasi-totalité des pays européens, le patronat va devoir se résoudre à endosser son nouveau rôle de percepteur de l’impôt sur le revenu dans le cadre du prélèvement à la source dont le gouvernement a confirmé la mise en œuvre au 1 er janvier 2019. Contre vents et marées. Une mise en place qui s’annonce comme un nid à problèmes pour les entreprises.
Emmanuel Macron a tranché et Edouard Philippe l’a confirmé le 4 septembre : le prélèvement à la source sera bien institué à partir du 1er janvier 2019. Au grand dam de l’ensemble des organisations professionnelles du secteur de la santé libérale.
En effet, depuis le lancement de cette réforme, l’Union nationale des professions libérales (UNAPL) exprime sa plus grande réserve. « Nous n’y sommes pas hostiles sur le principe, en revanche nous dénonçons les modalités de mise en œuvre ; elles confèrent un nouveau rôle et de nouvelles responsabilités à l’employeur qui ne sont pas les nôtres, car sans rapport avec notre activité de professionnel libéral », s’agace Michel Chassang, son président. Les entreprises du secteur des professions libérales n’ont pas été écoutées et ne peuvent plus compter sur un report possible qui aurait entretenu l’espoir d’aménagements. « L’UNAPL avait demandé au gouvernement de dissocier la fiche de paie – qui doit être sanctuarisée – du dispositif de retenue à la source, c’est-à-dire que ce soit l’administration fiscale qui prélève directement sur les comptes bancaires des salariés », rappelle-t-il. La décision du président de la République n’efface pas pour autant l’impression de flottement ni les craintes de bugs. A l’officine comme ailleurs. « Nous allons lancer des tests afin de simuler le prélèvement à la source sur les bulletins de salaire des trois derniers mois de 2018 », annonce Olivier Desplats, expert-comptable et président du réseau CGP.
Un surcoût de plusieurs centaines d’euros
D’ores et déjà, les syndicats FSPF et USPO craignent un surcroît de travail et des coûts supplémentaires pour les officines, même si la grande majorité d’entre elles ont externalisé leur paye chez un expert-comptable, les débarrassant ainsi de tout souci de mise en œuvre sur le plan technique. Cela peut expliquer, selon Yves Marmont, président de la Fédération des centres de gestion agréés (FCGA), pourquoi le prélèvement à la source paraît encore lointain à la majorité des très petites entreprises (TPE), qui ne se projettent pas encore au 1er janvier prochain. « Il n’y a pas pour le moment d’inquiétudes particulières à ce sujet, le prélèvement à la source a surtout un impact psychologique auprès des chefs d’entreprises, habitués à collecter la TVA et à transmettre des cotisations à différentes administrations. C’est donc vécu comme une charge de transmission supplémentaire », rapporte-t-il. Cet expert-comptable n’entrevoit qu’un coût limité de mise en place à la charge des TPE. Son approche optimiste sur les coûts supportés par les professionnels libéraux laisse Michel Chassang pour le moins sceptique : « La loi fiscale change en permanence, modifiant les modes de calcul de l’impôt sur le revenu ; dans ces conditions, la gestion de la paie est appelée à prendre de plus en plus d’importance, entraînant une augmentation des coûts. »
Il en va de même pour Philippe Gaertner, président de la FSPF : « Les chiffres annoncés par l’inspection générale des finances sont formels, il y aura un coût supplémentaire de traitement pour l’ensemble des entreprises et proportionnellement plus cher pour les TPE. Il sera de plusieurs centaines d’euros par officine. »
Titulaire bouc émissaire
Plus que les bugs techniques, c’est surtout la nouvelle relation avec le salarié instaurée par le prélèvement à la source qui préoccupe l’UNAPL et les syndicats. « Face à des baisses de salaires nets incompréhensibles, les salariés ne vont pas appeler le centre des impôts, mais se retourner contre leur employeur pour demander des éclaircissements », affirme Michel Chassang. Gilles Bonnefond, président de l’USPO, craint que les titulaires ne se transforment bon gré mal gré en interlocuteur fiscal. « Ce sont bien les employeurs qui vont se retrouver face à leurs employés dont le salaire aura été amputé », fait-il valoir. « Sans compter qu’en tant que collecteur d’impôt, ils pourront être contrôlés pour cette activité », ajoute Michel Chassang (voir « Repères » pages 18 et 19).Autant de nouvelles contraintes et d’obligations difficilement supportables pour des TPE.
Pour Philippe Gaertner, il y a un autre impact du prélèvement à la source sur les salariés, psychologique celui-là. Difficilement mesurable, il ne faudra pas le sous-estimer pour autant. « Il est lié à l’impression de la dévalorisation du travail quand le salarié découvrira le nouveau montant net de son salaire sur son compte bancaire », redoute-t-il. Avec le sentiment que son employeur le paie moins bien et un double effet négatif : démotivation de l’équipe et revendications salariales des employés.
Le choc de complexité
« Le prélèvement à la source va bouleverser les habitudes des professionnels libéraux en tant qu’employeurs et contribuables, renchérit Michel Chassang. Le système d’acomptes pour le paiement de l’impôt sur le revenu des libéraux travailleurs non salariés n’est pas simple. Par exemple, une femme de ménage employée à domicile relève du Cesu qui n’entre pas dans le cadre du prélèvement à la source , alors que celui-ci s’applique si elle est employée dans l’entreprise », cite-t-il pour illustrer ce choc de complexité inédit infligé aux entreprises. « C’est la double peine pour le pharmacien, à la fois en tant que chef d’entreprise et professionnel libéral, estime, de son côté, Gilles Bonnefond. Comme toutes les TPE, la pharmacie va essuyer les plâtres, les régularisations d’impôt en fin d’année ne seront pas simples, il y aura des incidents et les réajustements prendront du temps. Qui fera ce travail ? Entre la remise en question du CICE et une partie des dégrèvements d’impôts qui ne seront pas pris en compte dans l’année, une augmentation de la fiscalité est à craindre pour le pharmacien. »
Pour autant, tout n’est pas à jeter à la corbeille. « Rendre plus contemporains les revenus et l’impôt a un intérêt pour les dirigeants travailleurs non salariés qui enregistrent des variations importantes de résultats d’une année sur l’autre », reconnaît Philippe Gaertner.
TRAQUER LES DYSFONCTIONNEMENTSIl est encore trop tôt pour dire si le passage au prélèvement à la source fonctionnera ou pas. Ce n’est qu’une fois rentrées dans le vif du sujet que les petites entreprises prendront la mesure de leurs nouvelles obligations et des difficultés d’adaptation rencontrées. A compter de janvier 2019, et dans un souci d’accompagnement des professions libérales, l’UNAPL annonce qu’elle relèvera au travers d’une ligne « SOS prélèvement à la source » tous les dysfonctionnements afin de les rendre publics.
À RETENIR• Le prélèvement de l’impôt à la source sera effectif à partir du 1er janvier 2019
• L’Union nationale des professions libérales (UNAPL) souhaitait que l’administration fiscale prélève l’impôt directement sur les comptes bancaires des salariés et non sur leur salaire.
• Le prélèvement à la source générera un coût annuel supplémentaire de traitement pour les pharmacies.
• En tant que collecteurs d’impôt, les titulaires pourront être contrôlés et sanctionnés pour cette activité.
REPÈRES
PAR Anne-Charlotte Navarro et FRANÇOIS POUZAUD – INFOGRAPHIE : WALTER BARROS
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