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Accès libre
Plusieurs mois après l’officialisation du libre accès en pharmacie, force est de constater que les adeptes de l’ « over the counter » (OTC) restent minoritaires. Réalisme ou résignation, la plupart des officinaux devraient finir par franchir le pas. Pour eux, un seul mot d’ordre aujourd’hui : faire contre mauvaise fortune bon coeur
On attendait la rentrée avec impatience. Deux mois après la parution du décret du 30 juin, on allait donc pouvoir constater la mise en accès direct des médicaments sur le terrain. Las ! Parcourir, courant septembre, les pharmacies de la région parisienne nous a surtout donné l’impression d’user nos semelles en vain. Dans la majorité des officines, aucun changement à signaler : les rayonnages bariolés des médicaments-conseil étaient toujours cantonnés à l’arrière des comptoirs. Et même dans les établissements, plus minoritaires, qui avaient franchi le pas, les aménagements restaient bien timides. Pharmacie Ouaknine, dans le XIXe arrondissement de Paris, quelques étagères d’antalgiques avaient ainsi été accrochées derrière un poteau, dissimulées à la vue des patients. Rue Cadet, dans le IXe, un unique présentoir de la marque Humex surnageait devant les comptoirs, au milieu de diverses gondoles de parapharmacie. Un peu plus loin enfin, la pharmacie centrale du Nord avait aménagé deux descentes, mais si mal signalées et si proches des comptoirs que les clients n’osaient pas s’en approcher…
« Ça a démarré doucement ». S’il est évidemment trop tôt pour tirer les premiers bilans de la réforme, les quelques observations et témoignages recueillis sur le terrain cet automne suffisent à conclure que les officinaux ne se sont pas précipités sur l’accès libre. Un constat d’ailleurs corroboré par le sondage réalisé à la même période sur notre site (lire p. XX). Selon les préparateurs interrogés, plus de deux tiers des officines n’ont pas encore mis en place de zone d’accès libre. « Il est vrai que ça a démarré doucement », reconnaît Magali Flachaire, déléguée générale de l’Association française de l’industrie pharmaceutique pour une automédication responsable (Afipa), qui explique ce phénomène : « La mesure a été instaurée pendant l’été, qui n’est pas une période propice aux changements, et elle concerne surtout des médicaments indiqués dans les pathologies hivernales. De plus, de nombreux pharmaciens rencontrent des problèmes techniques. L’accès direct va prendre son envol dans les semaines qui viennent, le temps que la profession s’organise. » Chez nombre de pharmaciens, le peu d’entrain actuel pour l’accès libre peut en effet s’expliquer par des problèmes de place et des difficultés à aménager l’officine en respectant les conditions de dispensation des médicaments, définies dans le décret (espace dédié et clairement identifié, proximité du comptoir). Par ailleurs, beaucoup d’entre eux ne disposent pas des stocks suffisants pour « doubler » le rayon OTC devant et derrière le comptoir.
Les postures évoluent. Des obstacles d’autant plus complexes à surmonter que les groupements n’ont pas tous achevé leurs campagnes de communication et d’information. Si certains, comme le groupement de pharmacies PHR, ont adressé à leurs adhérents, dès le début de l’été, des « kits accès direct », contenant des recommandations merchandising et des éléments signalétiques, d’autres se sont montrés plus circonspects. Chez Apsara, on a ainsi attendu le mois de septembre pour diffuser des pré-choix merchandising aux adhérents : « On voulait avoir tous les textes en main pour commencer à travailler », justifie Olivier Verdure, directeur du marketing, qui reconnaît également avoir pris le temps de « vérifier l’attrait » des pharmaciens pour la mesure. Au-delà des obstacles purement techniques, qu’en est-il en effet de la motivation réelle des pharmaciens pour l’accès direct ? En novembre 2007, selon une enquête de la société Celtipharm, 95 % des titulaires étaient opposés à la réforme. Une hostilité sensiblement identique chez les préparateurs, comme l’avait montré un sondage réalisé en janvier sur le site (lire Porphyre n° 439). Près d’un an plus tard, la situation semble néanmoins avoir beaucoup évolué. « On distingue aujourd’hui trois types de postures chez les pharmaciens, affirme le président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), Philippe Gaertner. Il y a ceux qui plébiscitent l’accès direct et qui se sont lancés tout de suite, ceux pour qui ce n’est pas une priorité mais qui vont finir par le mettre en place, et enfin ceux – un quart environ – qui y sont toujours opposés. » Et le président de la FSPF de prédire : « Dans un an, les trois quarts des officines auront probablement franchi le pas. »
Encore des irréductibles. Responsable d’une pharmacie Viadys (groupement PHR), à Maisons Laffitte, dans les Yvelines, Muriel Guériot appartient assurément à la première catégorie. Dès le mois de juillet, elle a libéré deux descentes de sept étagères, à droite de la ligne des comptoirs, pour y installer les médicaments d’automédication. Une trentaine de spécialités différentes se partagent aujourd’hui l’espace, choisies dans la liste de l’Afssaps en fonction des stocks et des conseils du groupement. « C’est vrai que PHR nous a fortement incités à nous lancer, reconnaît-elle. Mais cette réforme me semble aussi un vrai challenge à relever si l’on veut éviter que les médicaments ne se retrouvent un jour au supermarché. » Même son de cloche du côté de la pharmacie Gerbaud, à Nîmes, qui consacre quatre mètres au sol à l’OTC depuis la mi-juillet : « À force de rester arc-boutés sur nos principes, nous perdons de plus en plus de parts de marché. Suivre l’évolution normale de la société, c’est aussi protéger notre métier », justifie le titulaire, Christian Gerbaud, qui affirme par ailleurs « ne pas comprendre » pourquoi certains de ses confrères jugent la réforme dangereuse : « devant ou derrière le comptoir, on reste dans le cadre sécurisé de l’officine, avec des professionnels de santé compétents pour conseiller les patients ! » Pharmacien à Eguzon-Chantôme, une zone rurale du département de l’Indre, Jean-Jacques Legrand appartient, quant à lui, à la minorité d’irréductibles, totalement réfractaires à l’accès libre. Il ne changera rien à l’organisation de son officine, affirme-t-il, car cette réforme est « aberrante » : « On ne cesse de répéter que les Français consomment trop de médicaments. Alors pourquoi prendre une mesure qui va les inciter à en consommer encore plus ? » Un point de vue d’ailleurs partagé par sa préparatrice, Katia Pietrasiak, qui croit aussi sentir une méfiance des clients à l’égard du libre accès : « Pour eux, une pharmacie est d’abord un lieu de conseil. Cela les choquerait qu’on leur demande de s’y comporter comme dans une grande surface. »
De nouvelles règles du jeu. Tous les officinaux n’ont cependant pas un avis aussi tranché sur la question. Chez la grande majorité d’entre eux, c’est l’attentisme qui domine. « J’ai encore du mal à saisir l’utilité de cette mesure, avoue Bernard Botella, pharmacien à La Ciotat (13). Dans le fond, je la trouve plutôt inquiétante, que ce soit sur le plan de la santé publique ou de l’avenir de notre profession. Mais j’attends de voir comment les choses vont évoluer. » Si les titulaires se savent libres d’installer ou non une zone d’accès direct dans leur officine, ces « hésitants » ne se font guère d’illusion : un jour ou l’autre, la pression de la concurrence et les exigences des consommateurs les obligeront à se jeter à l’eau. C’est pourquoi leurs groupements les incitent à se lancer dès à présent, « pour ne pas rester à la traîne » : « qu’on le veuille ou non, l’accès direct fait désormais partie des nouvelles règles du jeu de l’officine, remarque Guénola Giangrasso, responsable marketing chez Pharmactiv. Le temps n’est donc plus à la réflexion et au débat d’idée. Il faut y aller, et au plus vite, si l’on veut rester compétitif. » Conseils merchandising, formations sur les médicaments, brochures d’information : oubliant leurs états d’âme, les groupements développent donc tout un arsenal de services, destiné à épauler les pharmaciens dans cette réforme incontournable. « L’enjeu, c’est de transformer une mesure que l’on n’approuvait pas en une évolution positive pour la profession », explique Raymond Boura, président du groupement Giropharm. Pour lui, la clé du succès réside dans le renforcement du conseil des pharmaciens : « C’est l’occasion pour eux de se réaffirmer comme des spécialistes du médicament et de montrer leur plus-value par rapport aux grands circuits de distribution. »
Un piège : l’encaissement simple. Pour les officinaux, il s’agit surtout d’éviter le piège de l’encaissement simple, qui les réduirait à de simples vendeurs. « Auparavant, le dialogue s’engageait naturellement avec les clients, qui arrivaient obligatoirement devant le comptoir avec une question, explique Marie-Claude de Carville, directrice clientèle chez Cofisanté. Avec l’accès direct, cet échange devient plus compliqué, car le client a déjà fait son choix. D’où la tentation de passer outre la phase de conseil. » Tous les groupements insistent donc sur la nécessité de renforcer la vigilance des équipes, certains proposant même des formations adaptées aux spécificités de la vente de médicaments en libre accès. Profiter de la réforme pour redorer le blason des officines : tel semble donc être le mot d’ordre actuel de la profession. Une stratégie d’ailleurs soutenue par certains laboratoires. S’appuyant sur les résultats d’une étude sur les comportements d’achat des consommateurs, qui a démontré le fort attachement des clients au conseil du pharmacien, Urgo défend ainsi le concept de « libre accès accompagné » : « Dans le secteur de l’OTC, les clients souhaitent avant tout ressortir de l’officine avec le bon produit, explique Bedros Sarkissian, directeur marketing Urgo soins et santé. Les leviers d’achat reposent donc surtout sur le conseil du professionnel de santé, et la notoriété et l’efficacité du médicament. » La santé des patients en ressortira-t-elle pour autant gagnante ? Ce n’est pas sûr. Administrateur national à l’UFC-Que choisir, Jacques Mopin ne croit pas un instant au renforcement du conseil pharmaceutique dans le cadre de l’accès direct : « Il y a quelques années, nous avons testé la vigilance des pharmaciens, en soumettant à plusieurs d’entre eux une ordonnance comportant de nombreuses interactions dangereuses. Les résultats se sont révélés catastrophiques ! Avec l’accès direct, les choses ne devraient pas s’améliorer, bien au contraire. »
Le pouvoir d’achat, ce grand oublié. Président de Giphar, Pascal Louis s’inquiète surtout, quant à lui, pour les clients « qui croient connaître suffisamment les médicaments pour se dispenser de demander conseil aux pharmaciens. » Une crainte justifiée, si l’on en croit le témoignage de Christine, préparatrice dans le Sud de la France et déjà rôdée à l’accès libre : « Lorsqu’un client paraît sûr de son choix, j’encaisse le médicament sans poser plus de questions », reconnaît-elle. Côté pouvoir d’achat, les patients ne devraient pas être beaucoup plus avancés. Fin septembre, selon une étude de Celtipharm, la baisse des prix sur les produits d’automédication ne dépassait pas les 1 % en moyenne. « Les laboratoires ont utilisé l’argument du pouvoir d’achat pour obtenir le passage devant le comptoir, mais aujourd’hui, ils ne jouent pas le jeu ! », s’indigne Gilles Bonnefond, secrétaire général de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Avec la possibilité désormais donnée aux clients de comparer les prix des médicaments entre les officines, la baisse des tarifs sera « mécanique », rétorque-t-on chez Urgo. Mais là encore, Jacques Mopin réfute l’argument : « seuls certains publics, résidant dans les zones urbaines, pourront se permettre de faire la tournée des officines. Encore une fois, ce sont donc les consommateurs les plus isolés et les plus fragiles qui feront les frais de la réforme. » •
Ce que dit la loi
Décret n° 2008-641 du 30 juin 2008 relatif aux médicaments disponibles en accès direct dans les officines de pharmacie.
Qui fixe la liste des médicaments disponibles en accès libre ?
Le directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) « sur demande du titulaire de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) ou de la personne ayant procédé à l’enregistrement (…) et après avis de la commission d’AMM »
Quels sont les critères à remplir pour les médicaments ?
– Ils ne sont pas soumis à prescription.
– Ils sont utilisables en automédication (d’après les indications thérapeutiques, la durée de traitement et les informations figurant dans la notice).
– Le conditionnement et le nombre d’unités de prise est adapté à la posologie et à la durée de traitement recommandées dans la notice.
– L’AMM ne comporte pas d’interdiction ou de restriction en matière de publicité.
Ces médicaments doivent-ils obligatoirement être non remboursables ?
Le non remboursement n’est pas un critère de non éligibilité selon les termes du décret. Mais la ministre de la Santé a précisé que l’accès direct était réservé aux non remboursables…
Un médicament peut-il être supprimé de la liste ?
Oui, par la directeur de l’Afssaps, si les conditions posées ne sont plus remplies ou « pour tout motif de santé publique », notamment lorsque le rapport entre le bénéfice et les risques liés au médicament est en cours de réévaluation.
Quelles sont les conditions de dispensation des médicaments en accès libre ?
Les médicaments en acès libre doivent être « présentés dans un espace dédié, clairement identifié et situé à proximité immédiate des postes de dispensation des médicaments et d’alimentation du dossier pharmaceutique (…), de façon à permettre un contrôle effectif du pharmacien ». Ce dernier doit également mettre « à la disposition du public les informations émanant des autorités de santé relatives au bon usage des médicaments de médication officinale. »
interviewL’élargissement de la liste des médicaments se fera avec toutes les garanties de sécurité sanitaire »
Entretien avec Dr Christelle Ratignier, chef de l’unité PTC-5, qui évalue les médicaments de prescription médicale facultative, à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps).
Comment l’Afssaps établit-elle la liste des médicaments qui peuvent être mis en accès direct ?
C’est le directeur général de l’Afssaps qui inscrit les médicaments sur la liste, sur demande du titulaire de l’AMM et après avis de la commission d’AMM. Pour y figurer, les médicaments doivent répondre à plusieurs critères, énumérés dans le décret du 30 juin. Il s’agit obligatoirement de médicaments de prescription médicale facultative, dont les indications thérapeutiques, la durée de traitement et les informations de la notice permettent une utilisation autonome par le patient. Il faut également que le contenu du conditionnement soit adapté à la posologie et à la durée de traitement. Pour un produit indiqué dans les maux de gorge par exemple, dont la posologie serait de 4 comprimés par jour pendant cinq jours, le conditionnement devra ainsi être de 20 comprimés, avec une flexibilité de plus ou moins un jour de traitement. Enfin, l’AMM ne doit pas mentionner d’interdiction de publicité auprès du grand public.
L’efficacité thérapeutique des spécialités n’entre-t-elle pasen ligne en compte dans l’autorisation de mise en accès direct ?
L’inscription sur la liste n’est pas une évaluation ou une réévalution du rapport
bénéfices/risques des spécialités. Il est rappelé que tout médicament commercilisé disposant obligatoirement d’une AMM, cela signifie implicitement que le rapport bénéfice/risque des spécialités inscrites sur la liste a été jugé favorable.
Comment la liste va-t-elle évoluer dans le futur ?
La première liste, publiée en juillet, comprenait des médicaments qui remplissaient de facto tous les critères énumérés dans le décret. Depuis, les laboratoires réalisent des aménagements, en matière de conditionnement ou de notice d’information notamment, afin que d’autres spécialités puissent y figurer. Une première actualisation eu lieu fin août et d’autres vont suivre, en fonction des nouveaux dossiers déposés. Dans un premier temps, les nouveaux médicaments inscrits correspondront à des principes actifs et à des indications qui sont déjà présents sur la liste actuelle. Il va dans un premier temps s’agir d’un élargissement de l’offre à l’intérieur d’une même gamme de produits.
À terme, sait-on combien de spécialités sont potentiellement éligibles ?
Les industriels avancent le chiffre de mille spécialités. Mais comme l’a dit clairement la Ministre, l’élargissement devra se faire avec toutes les garanties de sécurité sanitaire. Ainsi, ce n’est pas parce que certaines spécialités à base d’ibuprofène sont aujourd’hui inscrites sur la liste que toutes le seront à terme. Les laboratoires devront absolument proposer un conditionnement adapté à l’automédication s’ils veulent que leurs spécialités passent devant le comptoir. Enfin, il faut rappeler que le directeur général de l’Afssaps peut suspendre ou supprimer l’inscription d’un médicament sur la liste pour tout motif de santé publique.
Certains pharmaciens expriment des craintes pour la sécurité…
Il faut leur rappeler que cette mise en accès direct se fait dans un environnement sécurisé, qui est celui de l’officine, et qu’elle s’accompagne des conseils individualisés d’un professionnel de santé. Le décret donne par ailleurs des indications précises quant à l’emplacement de la zone de libre accès à l’intérieur de l’officine, afin que les médicaments en accès direct ne se retrouvent pas entre les crèmes amincissantes et les tétines. Enfin, l’Afssaps met à la disposition du public et des professionnels de santé de nombreux documents d’accompagnement. De manière générale, cette mesure va donc améliorer l’accès des patients à une information de qualité.
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