Initiative B.B.

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Publié le 16 février 2008
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Brigitte Bouzige a conçu un « kit de bonne dispensation » de l’ibuprofène. Objectif : ne pas laisser le patient sans conseils et mises en garde lorsqu’il achète ce médicament devenu, à tort, presque anodin. En septembre 2007, le Collectif national des groupements de pharmacies d’officine (CNGPO)* lance cette opération à grande échelle. Forte de son succès, elle est suivie depuis février 2008 d’une version sur le paracétamol.

Brigitte Bouzige en est convaincue : « Les médicaments de consommation courante deviennent presque anodins tant pour le patient que pour le pharmacien : la multiplicité des demandes de ces produits par les patients et les délivrances répétitives qu’elles entraînent par la même occasion ne doivent pas faire oublier au pharmacien la nécessité d’accompagner à chaque fois leur dispensation. » C’est la raison pour laquelle la titulaire des Salles-du-Gardon, dans le Gard, a mis en oeuvre il y a plus de deux ans des fiches – format livret – accompagnant systématiquement la dispensation d’ibuprofène et de nombreux autres médicaments, de prescription ou non.

Brigitte Bouzige est également vice-présidente Giphar et membre du bureau du CNGPO, dont son groupement fait partie. A ce titre, elle a donc pu lancer son initiative au niveau national. Désormais, les 8 500 pharmacies appartenant au CNGPO disposent d’un « kit de bonne dispensation » de l’ibuprofène. « En réponse aux attaques de la grande distribution, il m’a paru intéressant de mettre en pratique une « action coeur de métier » », explique Brigitte Bouzige.

Chaque officine a ainsi reçu, par le biais de son président de groupement, des fiches à destination de l’équipe officinale énonçant les cinq questions de base à poser au client lors de la dispensation d’ibuprofène, ainsi que la liste des médicaments sur le marché contenant la molécule. Un autre document en deux volets, format carte de crédit, est destiné au patient. Il lui est remis à chaque fois que le médicament est délivré sur prescription, conseil ou demande spontanée. Dans la partie « prescription », le pharmacien inscrit la dose conseillée au patient. Apparaît également sur cette carte la liste des médicaments contenant de l’ibuprofène. « L’objectif de cette liste est d’éviter tout éventuel surdosage résultant – le plus souvent – de la méconnaissance des produits de l’armoire à pharmacie, indique la pharmacienne. Aujourd’hui, les patients sont très bien informés, mais ils ne savent pas tout. Une dose excessive représente un risque réel pour leur santé, d’autant que l’ibuprofène possède 27 déclinaisons telles que Tiburon, Upfen, Rhinadvil, Nurofen… Avec cette carte, l’accompagnement est écrit. »

De la pharmacovigilance en direct

Brigitte Bouzige, qui a conçu elle-même les documents, milite depuis longtemps pour cet accompagnement. Au sein de son groupement et avec l’aide de deux pharmaciens, elle a également développé un site Internet grand public sur les médicaments, mis en ligne sur le portail de Giphar : près de 6 000 références représentant environ 800 molécules y sont recensées. A chacune correspond une fiche pratique donnant les informations utiles sur les indications et les effets du médicament, les conseils d’utilisation, les particularités, etc.

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Brigitte Bouzige entretient en outre des relations étroites avec les centres de pharmacovigilance : elle a fait insérer un formulaire de pharmacovigilance sur le logiciel de dispensation des officinaux de Giphar. « Les pharmaciens peuvent ainsi faire de la pharmacovigilance « en direct » et en présence du patient », résume la pharmacienne, qui s’attache à véhiculer, à travers ses actions, l’idée d’un certain « pragmatisme au service de l’éthique ». « J’aime travailler pour le terrain de la pharmacie d’officine en mettant en place des actions qui se concrétisent aussi bien au niveau du pharmacien que du patient, insiste Brigitte Bouzige, persuadée d’aller dans le bon sens. Il faut passer à une démarche de qualité pour assurer une meilleure délivrance du médicament. Cela fait bien six ans que je me bats pour ça. » A l’heure de l’automédication et du passage de quelques centaines de molécules devant le comptoir, il devient essentiel de se montrer encore plus vigilant dans l’acte de dispensation.

Dans son officine des Salles-du-Gardon, le mot d’ordre est donné depuis longtemps, et pas question d’y déroger : « Le patient est demandeur de ce type d’informations. La démarche l’interpelle et la satisfaction qu’il exprime en est une preuve. En réalité, la banalisation du produit par le patient fait qu’on « oublie » souvent l’information. Il est temps de recadrer cela. » Le monopole officinal et l’utilité du pharmacien d’officine passent nécessairement par là. Les confrères les plus sceptiques commencent, selon Brigitte Bouzige, à reconnaître l’intérêt de telles actions. « On met en place le dossier pharmaceutique qui va renforcer notre rôle d’acteur de santé. Il sera vraiment important d’y consigner ces médicaments. » Elle considère même que les médicaments à PMF tels que l’ibuprofène ou le paracétamol doivent rester pour le moins des POO : des médicaments à « prescription officinale obligatoire », accompagnés d’un « diagnostic » et d’une prescription pharmaceutique.

L’opération « Ibuprofène » fait des petits

Après l’opération « Ibuprofène » lancée en septembre, une action identique autour du paracétamol a démarré fin janvier dans les pharmacies du CNGPO. « Ce produit est lui aussi devenu tellement banal que les consommateurs eux-mêmes n’ont pas l’impression de prendre un médicament. Il y a pourtant certains risques, notamment chez les personnes âgées, les patients alcooliques et les personnes dénutries. Les Etats-Unis font d’ailleurs marche arrière : le paracétamol y est vendu dans les stations-service et les drugstores, mais le pays considère aujourd’hui que ce médicament est un produit potentiellement toxique pour le foie, occasionnant un nombre croissant d’hépatites aiguës. »

Le paracétamol fait figure de symbole du monopole pharmaceutique car des milliers de boîtes se vendent chaque jour, sur ordonnance ou à la demande du patient. En outre, il se retrouve dans 67 spécialités à ce jour. « Il n’est pas question d’être alarmiste, mais en l’absence d’études d’envergure dans le temps, le principe de précaution doit primer et le produit être dispensé correctement. Il faut protéger les clients de la surconsommation. Les pharmaciens d’officine doivent se rappeler la mission qui est la leur », interpelle Brigitte Bouzige. Au fil des actions qu’elle initie au sein de son groupement, la pharmacienne s’efforcera de le leur rappeler. Prochaine étape, probablement en juin : les fiches mémo qu’elle veut mettre en oeuvre pour l’aspirine.

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Avantages

– Ce type d’opération permet d’avoir constamment à l’esprit que ces médicaments ne sont pas des produits de consommation courante.

– Elle permet en outre d’assurer la délivrance de ces produits en gardant à l’esprit un éventuel contexte pathologique du patient.

– S’engager à mener une telle action dans son officine est ainsi un moyen de mieux exercer son métier et de montrer sa valeur ajoutée.

– Travailler au sein d’un groupement offre la possibilité de mutualiser les actions, de bénéficier de plus de moyens, d’être plus réactif, d’avoir plus d’impact et donc d’être plus performant.

– Enfin, ce « kit de bonne dispensation » prépare à la mise en place du dossier pharmaceutique, lequel demandera de nouveaux réflexes.

Inconvénients

– Mettre en oeuvre ces actions demande beaucoup de temps au départ et représente une grande responsabilité.

– Il peut s’avérer difficile de faire admettre la nécessité de cette démarche et de sensibiliser les officinaux.

Conseils

– Bien faire comprendre l’intérêt de votre démarche à l’équipe officinale pour le patient, mais aussi pour elle-même et pour le devenir d’une profession sur la sellette.

– Mettre en place la fiche « équipe officinale » à portée de vue de l’équipe au comptoir pour rappel.

– Disposer systématiquement les documents pour le patient sur les rayons, à côté des boîtes d’ibuprofène et de paracétamol, de façon à ce qu’ils soient délivrés automatiquement avec le produit. En placer d’autres près des postes informatiques destinés à la dispensation.

– Garder à l’esprit que le patient et son entourage doivent rester les bénéficiaires de ce type d’action.

* Le CNGPO regroupe Cofisanté, Forum Santé, Evolupharm, Giropharm, Giphar, Pharmavie, Apsara, Réseau Santé, Optipharm, CEIDO, Alrhéas.