L’automédication fait encore parler d’elle

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Publié le 1 février 2014
Par Véronique Hunsinger
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Un avis de l’Autorité de la concurrence paru avant Noël a rallumé la polémique sur la libéralisation de la vente de l’automédication en dehors des officines. Le ministre de la Santé a dit non pour les médicaments dans les linéaires des supermarchés.

De l’aspirine entre des boîtes de petits pois et des savonnettes ? Non ! La ministre de la Santé a immédiatement opposé une fin de non recevoir à la préconisation de l’Autorité de la concurrence d’une « ouverture limitée et encadrée de la distribution du médicament en ville », dans son rapport du 19 décembre 2013. Marisol Touraine a, dans un communiqué, réaffirmé son « attachement au monopole officinal sur les médicaments, qui permet à notre pays de sécuriser leur dispensation et d’agir efficacement contre la contrefaçon, tout en garantissant l’accès de nos concitoyens aux médicaments sur l’ensemble du territoire ».

Favoriser la concurrence

« La rapidité de la réaction de la ministre et le fait qu’elle s’exprime au nom de tout le gouvernement nous a rassurés », note Philippe Besset, vice-président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques français (FSPF). Il demeure que l’avis de l’Autorité de la concurrence a redonné du poil de la bête aux défenseurs de la vente en supermarché des médicaments d’automédication. À leur tête, le médiatique P-DG des hypermarchés Leclerc, Michel-Édouard Leclerc. Sur son blog, il pavoise : « L’analyse de l’Autorité de la concurrence remet les pendules à l’heure. Il ne s’agit pas de s’en prendre à une profession qui d’ailleurs a trop réagi de manière corporatiste. Personne ne conteste la compétence des pharmaciens d’officine. Il s’agit tout simplement de favoriser la concurrence pour aboutir à une baisse de prix, sans que la qualité ou les règles de sécurité pour les patients en soient remises en cause ».

Du côté des consommateurs, l’association UFC-Que choisir a applaudi l’avis de l’Autorité de la concurrence qui, même s’il ne change rien à la situation, a relancé une nouvelle fois le débat. « La vente de médicaments en grande surface dans des espaces dédiés et sous le contrôle d’un pharmacien aurait deux avantages, souligne Mathieu Escot, chargé de mission santé de l’association. Nous avons calculé que l’on peut en attendre une baisse de prix de 16 %, soit une économie annuelle d’environ 270 millions d’euros pour les Français car les hypermarchés vendraient moins cher et que les officines seraient aussi obligées de diminuer leurs prix. En outre, on estime que le nombre de points de vente pour ces produits d’automédication augmenterait de 10 % ».

Baisses de prix de l’OTC en Italie

Dans son avis, l’Autorité rappelle que la concurrence entre les officines est encore faible sur le médicament non remboursable, avec des écarts de prix de 1 à 4. Elle met en avant les baisses constatées en Italie après la libéralisation de ce marché en 2006 dans des conditions comparables à ce qu’elle préconise aujourd’hui, c’est-à-dire dans des espaces dédiés avec une caisse différenciée et sous la responsabilité de pharmaciens. L’Autorité met en avant les « capacités de négociation très fortes [des supermarchés] avec les fournisseurs », en particulier dans la vente directe avec les laboratoires. « Il est intéressant d’étudier le modèle italien car, d’un point de vue culturel, c’est un pays où les comportements des patients sont très proches de ceux des Français, explique Daphné Lecomte-Somaggio, déléguée générale de l’Afipa, association de laboratoires d’automédication, opposée à la vente en supermarché. Mais si les prix des médicaments d’automédication sont moins chers dans les supermarchés, il faut dire aussi qu’ils sont globalement plus élevés qu’en France ! En outre, on a constaté qu’ils ont augmenté de 3,6 % dans les grandes surfaces entre septembre 2011 et septembre 2013 ». La déléguée générale regrette que les arguments financiers prennent le pas sur les préoccupations de santé publique.

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« Nous ne voulons pas qu’il y ait une mise en danger des pharmacies et de leurs équipes alors qu’elles sont aujourd’hui une garantie d’excellence et de proximité pour le patient ».

Miser sur la qualité du conseil

L’UFC-Que choisir balaie ce type d’arguments. « En Italie, les pharmacies ont gardé 90 % du marché de l’automédication parce qu’elles ont baissé les prix, mais aussi car elles ont davantage misé sur la qualité et l’accompagnement du patient, note Mathieu Escot. On a calculé que les baisses de marge seraient supportables pour les officines. Celles qui pourraient éventuellement être en danger sont celles des centre-villes, où elles sont trop nombreuses ». L’Autorité de la concurrence n’élude pas les risques économiques de la fin du monopole sur l’automédication. Elle estime que cette ouverture devrait « être accompagnée de mesures visant à consolider le rôle et les revenus du pharmacien », notamment via ses nouveaux modes de rémunération. Enfin, elle précise que les préparateurs pourraient être salariés des nouvelles structures de distribution sous la responsabilité d’un pharmacien. L’Ordre pointe de son côté que des pays qui avaient libéralisé la vente de médicaments hors des pharmacies font aujourd’hui marche arrière : l’Argentine en 2009 et le Paraguay en 2013. Actuellement, dans l’Union européenne, treize pays sur vingt-huit privilégient encore la vente exclusive de médicaments en officine.

Pour l’Ordre, c’est niet

La réaction de l’ordre des pharmaciens à l’Autorité de la concurrence ne s’est pas fait attendre. Le jour même, il a rappelé que le « monopole est justifié par des buts de santé publique auxquels sont largement étrangers les objectifs consuméristes de la grande distribution ». Comment accéder au DP du patient dans un supermarché ? Les rappels de lots y seraient-ils aussi efficaces ? « L’organisation actuelle de la chaîne pharmaceutique est garante de la qualité et de la sécurité des patients ». Le risque aussi pour un pharmacien salarié d’une grande surface serait de perdre de son indépendance professionnelle. L’instance ordinale souligne aussi que « les pharmacies ne sont pas systématiquement plus chères que les parapharmacies et les grandes et moyennes surfaces ». Préservatifs, laits infantiles ou lingettes seraient plus chers en supermarché ! Et les prix de l’OTC ne sont pas plus élevés en France que dans les autres pays d’Europe. La concurrence entre les 22 500 officines existe déjà.

Des avis parfois écoutés

Les avis de l’Autorité de la concurrence sont parfois suivis d’effets.

Alors que le « gendarme » de la concurrence préconisait l’autorisation de la vente en ligne des médicaments, le ministère de la Santé s’y est plié l’an dernier. Il est vrai qu’il y a surtout été contraint par la réglementation européenne. Mais alors que rien ne l’y obligeait, le gouvernement a accepté d’intégrer dans son projet de loi sur la consommation – un texte en passe d’être adopté définitivement par le Parlement – plusieurs dispositions concernant ce que l’Autorité de la concurrence appelle « les produits frontières », à savoir les tests de grossesse et d’ovulation et les produits de nettoyage de lentilles qui devraient trouver place dans les linéaires des supermarchés au cours des prochaines semaines.