VITE UN ANTI-RUMEURS !

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Publié le 23 mai 2015 | modifié le 3 juillet 2025
Par Loan Tranthimy et Matthieu Vandendriessche
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Malgré un courrier adressé aux assurés en avril par l’Assurance maladie pour expliquer la nouvelle rémunération des pharmaciens, un début de polémique rattrape la profession et relance la suspicion. Au comptoir, les pharmaciens doivent faire preuve de pédagogie face aux questions des assurés.

Turbulence en vue sur la nouvelle rémunération ! Depuis plusieurs semaines, une rumeur enfle au sujet des honoraires de dispensation. Le quotidien L’Humanité a tiré le premier. Dans un article publié en ligne le vendredi 15 mai, il dénonce un « nouveau racket sur le dos des malades », considérant que la réforme de la rémunération « censée rétribuer la fonction du conseil du pharmacien est un alibi pour maintenir la rentabilité des officines sur le dos des usagers ».

Trois jours plus tard, lundi 18 mai sur France Inter, une chronique matinale (tranche 5-7 h), également consacrée aux honoraires de dispensation des pharmaciens, enfonce le clou. A la question de savoir comment ces derniers sont justifiés, la réponse est : « C’est une façon de rémunérer le conseil que vous prodigue le pharmacien quand il vous tend la boîte, par exemple pour du paracétamol, en vous disant qu’il faut prendre un cachet toutes les 6 heures. » L’auditeur apprend aussi que ces honoraires sont là pour compenser le manque à gagner sur les médicaments qui auraient pu être vendus en supermarché, tel qu’envisagé pendant un temps dans le projet de loi Macron. « Sauf que cette partie de la loi Macron n’a pas été votée et les pharmaciens augmentent donc encore plus leur marge sur les médicaments remboursables. C’est tout bénef pour eux », conclut sans détour la chronique.

Ces articles, à charge pour la profession, font néanmoins échos des interrogations légitimes de certains assurés qui découvrent sur le décompte de la Sécurité sociale que chaque ligne de remboursement est doublée d’une ligne « honoraires de dispensation ». Au Collectif inter-associatif sur la santé (Ciss), on reconnaît avoir recensé ces dernières semaines des questions sur le sujet. « Même si elles ne sont pas nombreuses, elles révèlent une certaine incompréhension de la part des assurés. Nous sommes favorables au développement de ces honoraires mais de façon transparente. Et la transparence nécessite des explications », déclare Marc Paris, responsable de la communication du Ciss. Pour éviter que des idées fausses ne se répandent dans le public, le Ciss presse l’Assurance maladie et les représentants des pharmaciens de trouver au plus vite une « communication commune » dans l’intérêt de la profession.

Daniel Buchinger, président d’Univers Pharmacie et ex-président de l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO), prévient : « Au 1er juillet 2015, cela va être pire car l’affichage sera obligatoire sur les tickets de caisse. Cette polémique va enfler. Aux syndicats de rendre la réforme intelligible auprès du public. »

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Une information commune difficile à mettre en place

Un vœu qui n’est pas simple à exaucer tant les syndicats de pharmaciens sont très divisés sur ce sujet. D’un côté la FSPF, seul signataire de l’avenant conventionnel et de l’autre l’USPO et l’UNPF, non signataires. Président de la FSPF, Philippe Gaertner se déclare « consterné » et regrette « ces articles qui ne permettent pas aux patients d’avoir une information correcte. Manifestement, l’article de L’Humanité a été mal documenté en occultant la moitié du dispositif. C’est totalement stupéfiant et cela devient difficile à gérer. Pour informer les patients de cette évolution, la Fédération a fait passer à ses adhérents des affiches explicatives. Quant à l’Assurance maladie, elle a déjà informé les assurés via une lettre. Mais quoi que l’on puisse faire, le mal est fait », lâche Philippe Gaertner.

Gilles Bonnefond, président de l’USPO, condamne lui aussi l’article de L’Humanité qui « ne reflète pas la réalité ». Il persiste néanmoins à dire que « la nouvelle rémunération est une usine à gaz car la population ne la comprend pas ». « Cela risque de se retourner contre les pharmaciens. Il ne faut pas enchaîner sur l’étape de 2016 qui va être suicidaire. Sortons en vite sinon les patients vont nous le faire payer cher ».

Eric Myon, vice-président de l’UNPF, accuse pour sa part « la Sécurité sociale de n’avoir pas joué franc-jeu sur la communication vis-à-vis des assurés ». Selon lui, elle se serait engagée à intégrer les honoraires dans le prix du médicament lors des réunions de négociation. De plus, à ce jour, les messages véhiculés par l’Assurance maladie sont « incomplets et trompeurs ». Pour preuve, le site medicaments.gouv.fr mentionne les deux honoraires (par boîte et pour ordonnance complexe) « laissant entendre qu’ils s’appliquent l’un et l’autre systématiquement », estime Eric Myon. Sur le terrain, cette nouvelle polémique désole les pharmaciens interrogés. Frédéric Abecassis, titulaire dans l’Hérault, avoue que « très peu de gens posent aujourd’hui la question pour connaître la composition du prix du médicament ». Même constat chez la vice-présidente de l’USPO, Brigitte Bouzige, installée dans le Gard. Elle estime cependant que « le manque de visibilité sur les prix est accentué par la disparition de la vignette ». Et s’apprête à effectuer le même travail de pédagogie que celui qu’elle a réalisé auprès des médecins.

Pour Frédéric Abecassis, « la justification des honoraires est d’autant plus facile que les pharmaciens font leur boulot correctement. Dans l’acte de dispensation, il n’y a pas que la vente mais le questionnement, le conseil… Le patient ne doit pas sortir sans au moins un rappel de posologie ». Hélène Allix, titulaire dans les Yvelines, est sur la même longueur d’onde : « La dispensation doit être accompagnée, y compris lorsqu’il s’agit d’un médicament sans prescription. » La compréhension et l’adhésion des patients sont à ce prix.

Les mots pour le dire

Pour aider les pharmaciens à choisir les bons arguments face aux patients, voici les suggestions de Brigitte Defoulny, directrice de la société de conseil et de formation Héliotrope.

• Evitez d’entrer dans des explications complexes sur la marge. Indiquez que la Sécurité sociale a mis en place un nouveau mode de facturation, en évitant autant que possible les termes rémunération et honoraires.

• Evitez d’argumenter sur le basculement de la marge vers un acte intellectuel.

• Expliquez plutôt que la Sécurité sociale a instauré une somme forfaitaire à la boîte pour rémunérer votre intervention.

• Pour être synthétique, vous pouvez formuler ainsi votre explication : « Sachez que, globalement, cela ne change rien pour vous. Il n’y pas de surcoût pour le patient. Et il n’y a pas non plus de reste à charge supplémentaire. Si la Sécurité sociale a voulu ce changement, dans un contexte budgétaire contraint, elle s’y retrouve très largement ».

• Si l’un de vos confrères n’applique pas les honoraires hors ordonnance, voici ce que vous pouvez dire : « Pour notre part, nous respectons la règle mise en place. Si certains ne l’appliquent pas, c’est leur choix, mais nous pouvons considérer cela comme un moyen de s’attirer une clientèle de manière assez déloyale. »