IATROGÉNIE, PDA… VOS NOUVEAUX HONORAIRES

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Publié le 24 octobre 2015
Par Loan Tranthimy
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Alors que le chantier des honoraires de dispensation n’est pas achevé, l’Etat promet des honoraires adaptés aux nouvelles missions confiées aux pharmaciens pour l’accompagnement des patients. Effet d’annonces ou véritable reconnaissance de l’intervention officinale? Eclairage

Le message a le mérite d’être clair. Intervenant au nom de la ministre de la Santé en clôture du 68e congrès des pharmaciens de la FSPF le 18 octobre à Reims, Jean Debeaupuis, directeur général de l’Offre de soins (DGOS), a assuré que Marisol Touraine était « bien consciente des impacts des plans d’économies sur l’officine et des évolutions importantes auxquelles doit faire face la profession ». Dans un contexte de projets de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) contraints, il rappelle que la création des honoraires issus du transfert d’une partie de la marge commerciale permet déjà de préserver l’officine des baisses de prix à répétition. « Grâce à ces honoraires, la rémunération des pharmaciens dépend moins qu’avant des prix, des marges commerciales et des volumes des médicaments vendus », a-t-il déclaré.

Mais l’Etat souhaite aller plus loin pour valoriser le rôle « croissant » des pharmaciens dans les prochaines années, avec l’accélération du virage ambulatoire. Le représentant de l’Etat évoque alors des honoraires adaptés aux nouvelles missions de santé publique que Marisol Touraine souhaite confier aux pharmaciens. « Ces honoraires devront répondre à un double objectif: assurer l’avenir des officines mais aussi soutenir des actions participant à une meilleure organisation et à une meilleure efficience de l’offre de soins », dit-il, tout en précisant que le ministère restera attentif aux propositions des syndicats. Ces missions pourront donc être nombreuses et variées comme le suivi des patients atteints de maladie chronique, la prévention des effets indésirables des médicaments chez les personnes âgées polymédiquées, l’élaboration des « plans personnalisés santé » (PPS) dans le cadre des expérimentations PAERPA (personnes âgées en risque de perte d’autonomie), la préparation des doses à administrer (PDA) ou encore la participation à la conciliation médicamenteuse avec un pharmacien hospitalier.

Des missions déjà inscrites dans la loi HPST de 2009

Cette volonté politique de reconnaître les pharmaciens comme acteurs à part entière dans le système de santé n’est pas nouvelle. La loi HPST de 2009 a déjà inscrit noir sur blanc un certain nombre de ces missions. Mais, faute de décrets d’application et surtout de financement, certaines d’entre elles comme la mission de pharmacien référent en EHPAD n’ont pas pu aboutir. Marisol Touraine réussira-t-elle là où Roselyne Bachelot ou Xavier Bertrand ont échoué ? Comment l’Etat compte-t-il financer ces nouvelles missions ? En tout cas, rien n’est dit à ce stade dans le PLFSS 2016 adopté en commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale le 13 octobre.

Alors que le chantier des honoraires de dispensation est au milieu du gué et que l’économie officinale va mal, comment l’annonce de nouveaux honoraires par Marisol Touraine est-elle perçue par les représentants des pharmaciens ? La FSPF considère que cela permettra aux partenaires conventionnels d’ouvrir des chantiers de négociations, « alors qu’il peut y avoir certaines frilosités lorsqu’on n’est pas sûr d’avoir l’appui des tutelles », déclarait Philippe Gaertner, président de la FSPF, en marge du congrès des pharmaciens le 18 octobre dernier. « On s’inscrit dans le développement des honoraires. Quand on parle d’observance ou d’iatrogénie médicamenteuse, il y a du travail pour l’officine. Cette valeur ajoutée du pharmacien justifie une rémunération et il ne faut pas avoir peur », ajoute Philippe Gaertner.

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L’UNPF veut prendre aux mots la ministre de la Santé. « Si on dit que les pharmaciens doivent avoir des honoraires qui rémunèrent des actes intellectuels et non plus la vente des boîtes de médicaments, alors j’applaudis des deux mains ! », commente Jean-Luc Fournival. Pour le président de l’UNPF, ces honoraires peuvent correspondre à plusieurs actes tels la validation de la prescription, la conciliation des traitements médicamenteux et l’établissement d’un bilan de médication, « cumulables et revalorisables avec une lettre clé. Tous ces actes doivent générer des économies pour les pouvoirs publics », souligne-t-il.

Pas de nouvelles négociations avant 2017

De son côté, l’USPO est plus réservée. Le syndicat estime que la priorité est de modifier l’avenant conventionnel sur la rémunération pour aller rapidement vers les honoraires à l’acte de dispensation. Fustigeant toujours la réforme signée par le seul syndicat FSPF qui prévoit des honoraires exclusivement liés à la boîte et ceux pour ordonnance complexe exposés aux effets de la maîtrise médicalisée, Gilles Bonnefond, président de l’USPO, souligne que « l’Assurance maladie a piégé la profession en mettant en opposition convention pharmaceutique et convention médicale. Les médecins touchent une ROSP pour qu’ils prescrivent moins de boîtes et moins de lignes », fait-il remarquer. Tout comme l’UNPF, l’USPO réclame un engagement de l’Etat sur une enveloppe globale de la rémunération des pharmaciens sur trois ans.

En attendant l’ouverture des négociations sur ces nouveaux honoraires, la FSPF demande, via son « plan d’urgence », la mise en place de deux honoraires prioritaires pour préserver le réseau officinal : l’extension des honoraires pour « ordonnance complexe » aux dispensations pour patients chroniques en affection de longue durée, et la revalorisation de ces honoraires à 1 euro. « Cela représente une enveloppe de l’ordre de 80 millions d’euros plus les 42 millions d’euros pour les ordonnances complexes. C’est une compensation des effets négatifs des baisses de prix sur l’officine », conclut Philippe Gaertner.

La balle est désormais dans le camp de l’Assurance maladie. En 2016, Nicolas Revel aura déjà fort à faire avec les négociations conventionnelles des médecins. Rien donc avant 2017, l’année de l’élection présidentielle et de la nouvelle convention pharmaceutique !

Honoraires sans ordonnance : bientôt la fin du flou juridique ?

Les pharmaciens vont-ils pouvoir facturer les honoraires pour des médicaments remboursables non prescrits sans être inquiétés par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ?

La réponse est oui pour Jean Debeaupuis. Devant les congressistes réunis à Reims, le directeur général de l’Offre de soins a rappelé qu’« il est bien dans l’esprit des négociations que les honoraires de dispensation s’appliquent à l’ensemble des médicaments remboursables, prescrits ou non ». Face à une interprétation différente de la DGCCRF, il a indiqué que « les échanges sont en cours avec la DGCCRF et aboutiront à un amendement dans le cadre du projet de loi de santé pour supprimer toute difficulté d’interprétation de la réglementation actuelle. La ministre est très attentive à la résolution de cette situation ».