Un licenciement avant la cession d’une officine

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Un licenciement avant la cession d’une officine

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Publié le 20 avril 2024 | modifié le 22 novembre 2024
Par Anne-Charlotte Navarro
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Une préparatrice en pharmacie est licenciée très peu de temps avant la cession de l’officine dans laquelle elle exerce. Cette décision est-elle recevable ? Le doute travaille cette salariée.

Les faits

Le 1er octobre 1982, Mme E. est engagée comme préparatrice par Mme N., propriétaire d’un fonds de commerce d’officine de pharmacie. Le 22 février 2016, Mme E. est licenciée pour motif économique. Le 14 mars 2016, Mme N. cède son fonds de commerce à la société B, constituée pour cette reprise. Estimant que son licenciement est privé d’effet, Mme E saisit le conseil de prud’hommes.

Le débat

L’article L. 1224-4 du Code du travail dispose que « lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise ». Le code ajoute que ce maintien est automatique. Le contrat se poursuit donc sans formalité dans les mêmes conditions : ancienneté, salaire, temps de travail, emploi du temps, etc. Ce texte est dit d’ordre public, c’est-à-dire que ni le repreneur, ni le cédant, ni les salariés concernés ne peuvent faire échec au transfert automatique des contrats de travail. S’il y a une fraude à cette règle, la Cour de cassation considère qu’il faut condamner solidairement le vendeur et l’acheteur à payer au salarié les dommages-intérêts et les indemnités légales de licenciement. En l’espèce, Mme E. justifiait ses demandes avec ces arguments. Elle estimait que son licenciement pour motif économique prononcé à peine un mois avant la cession de la pharmacie devait être regardé comme une fraude à l’article L. 1224-4 du Code du travail. Le 27 octobre 2021, la cour d’appel de Versailles (Yvelines) estime que le licenciement de Mme E. est valable. Les juges considèrent qu’elle aurait dû demander au repreneur du fonds de commerce de pharmacie la poursuite de son contrat de travail. Ils estiment que la société B n’avait pas automatiquement connaissance de l’existence de ce contrat. Mme E. forme un pourvoi en cassation.

La décision

Le 14 février 2024, la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel. Pour les hauts magistrats, le licenciement de Mme E. avait pour seule cause la fraude au principe de poursuite des contrats. Ils notent que la cour d’appel, après « avoir constaté l’existence d’une fraude pour faire échec aux dispositions de l’article L. 1224-1 du Code du travail, entre le cédant et la société cessionnaire qui ne voulait pas reprendre à son service l’intéressée, retient qu’il n’est pas discuté que la société n’a pas fourni de travail à la salariée, mais que cette dernière n’a pas demandé à la société la poursuite de son contrat de travail. Elle en conclut qu’à défaut d’une telle demande elle est mal fondée à lui reprocher de ne pas lui avoir fourni de travail ». Or la salariée n’avait pas à se manifester auprès du repreneur pour lui indiquer qu’elle était à sa disposition. Conformément à la jurisprudence, Mme N. et son repreneur, la société B, sont condamnés à verser à la salariée les indemnités de rupture et des dommages-intérêts. A première vue, cette décision peut sembler exigeante pour le repreneur qui peut ne pas avoir connaissance des agissements de son vendeur. Cependant, en pratique, les démarches pour l’achat d’une pharmacie sont souvent longues et impliquent l’échange de documents. Ce qui rend peu probable que l’acquéreur n’ait pas été au courant de ce licenciement.

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À retenir

  • Lors d’un transfert, d’un regroupement, d’une mise en société ou d’un rachat, les contrats de travail en cours se poursuivent automatiquement.
  • Un salarié licencié n’a pas à indiquer au repreneur l’existence de son contrat.
  • Un tel licenciement étant considéré comme sans cause réelle et sérieuse, cédant et cessionnaire seront condamnés solidairement à indemniser le salarié.