A la recherche du bon nombre de lits en réa

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Publié le 16 janvier 2021
Par Magali Clausener
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La polémique sur le nombre de lits en réanimation pour faire face à l’épidémie fait rage depuis plusieurs semaines. Avec plus de 5 000 lits, la France paraît en effet sous-dotée. Doit-on créer des centaines de lits après la crise ? Pour les médecins réanimateurs, il faut surtout mettre en œuvre des solutions flexibles.

Alors que l’épidémie de Covid-19 est exponentielle et que le nombre des admissions à l’hôpital et en services de réanimation ne cesse d’augmenter, la question du nombre de lits en réanimation se pose avec acuité. Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), en 2019, la France dispose de 5 400 lits de réanimation, enfants et adultes, répartis dans 323 établissements. Ce qui représente une augmentation de + 1,2 % par rapport à 2013. Le ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, déclare, dans le quotidien Les Echos du 20 octobre 2020, qu’à la suite de la première vague, « nous sommes passés de 5 100 lits en capacité fixe à 5 800 », ce qui représente, d’après le ministre, une hausse de + 15 %. Or, en 2013, la Drees recensait 5 334 lits…

Une concentration dans certains départements

Au-delà de ces chiffres et des informations données par le ministre, pourquoi y a-t-il si peu de lits de réanimation ? Pour rappel, « ces lits sont destinés à des patients qui présentent (ou sont susceptibles de présenter) plusieurs défaillances viscérales aiguës, mettant directement en jeu leur pronostic vital et impliquant le recours à des méthodes de suppléances », précise la Drees. La création de lits de réanimation, soumise à autorisation des agences régionales de santé (ARS), répond donc à des besoins précis. « Nous avons des lits de réanimation médicale pour des pathologies graves, comme la décompensation respiratoire, les maladies d’origine cardiaque ou la traumatologie.

Les lits de réanimation chirurgicale sont, quant à eux, destinés à des patients, avant ou après une intervention chirurgicale particulièrement lourde qui peut générer des désordres physiques. Ces lits sont également prévus pour des patients qui ont un terrain pathologique important et besoin de soins spécifiques », détaille le vice-président du Syndicat national des infirmier(e)s anesthésistes (Snia), Emmanuel Barbe. De fait, tous les établissements de santé n’en sont pas dotés. Les services de réanimation sont concentrés autour des grands centres chirurgicaux, autrement dit les centres hospitaliers universitaires (CHU), les hôpitaux de taille moyenne et les établissements qui réalisent des interventions de chirurgie lourde. En outre, la quasi-totalité des lits de réanimation se trouve dans le public. « Sur environ 5 500 lits de réanimation, le privé en dispose de 550 », observe ainsi Etienne Fourquet, président du Syndicat national des anesthésistes-réanimateurs (Snar).

Une situation qui explique pourquoi il y a très peu de lits dans certains départements. Selon la Drees, en 2018, la Lozère ne compte que trois lits de réanimation, et les Alpes-de-Haute-Provence, six. Quatorze départements comme les Hautes-Alpes, l’Ardèche, le Cantal, la Creuse, le Gers, la Meuse ou encore les Vosges, n’en disposent, eux, que de huit. A contrario, dans les territoires où se situent les grandes métropoles et les CHU, le nombre de lits est bien supérieur : 471 à Paris, 309 dans les Bouches-du-Rhône, 239 dans le Nord, 222 dans le Rhône, 195 en Gironde, 165 en Haute-Garonne…

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Des services toujours en flux tendu

Le nombre relativement peu élevé de lits implique des difficultés à gérer des arrivées soudaines et importantes de patients, y compris hors crise sanitaire. « Les services de réanimation sont toujours pleins. Nous fonctionnons à flux tendu », commente le Dr Anne Geffroy-Wernet, présidente du Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi (SNPHARe). « La réanimation suit le même tempo que celui des autres lits. Nous voyons bien que, depuis un certain nombre d’années, nous sommes dans une politique de gestion à flux tendu des lits d’hospitalisation et de réanimation », abonde Emmanuel Barbe. Le taux d’occupation des lits de réanimation est en effet d’environ 80 à 90 %. La création de centaines de lits est-elle alors nécessaire ? « Est-ce que l’Etat est prêt à créer des lits dont 50 % seront ensuite vides ? », interroge le président du Snar. « Nous avons peut-être besoin de quelques lits de réanimation supplémentaires, mais on ne va pas doubler leur nombre pour une éventuelle crise », rétorque le vice-président du Snia. D’autant que se doter de tels lits n’implique pas d’avoir seulement des respirateurs mais également du personnel et la mise en place de « toute une filière logistique comprenant médicaments, biologie, imagerie, kinés », comme le souligne le vice-président du Snia. Sans compter des locaux plus grands. Le principal obstacle est déjà le manque de personnel. La réglementation impose deux infirmières pour cinq lits de réanimation. « Pour être confortable, il faut une infirmière et une aide-soignante pour deux lits », remarque Anne Geffroy-Wernet. Si aucun texte ne mentionne un nombre de médecins anesthésistes-réanimateurs par lit, il est toutefois nécessaire d’avoir au moins deux praticiens afin de garantir la collégialité des décisions et d’assurer, si un praticien doit surveiller un patient, la présence d’un second médecin pour les autres malades. La présidente du SNPHARe estime ainsi qu’il faudrait entre un et deux praticiens pour six patients. A cela s’ajoute la permanence la nuit et les week-ends. Or, selon Anne Geffroy-Wernet, dans le secteur public, jusqu’à 30 % des postes d’anesthésistes-réanimateurs sont vacants. « Il y a environ 10 000 médecins anesthésistes, dont 30 % dans le privé », souligne Etienne Fourquet.

En outre, le service de réanimation requiert des compétences particulières, comme la manipulation des dispositifs médicaux, et donc une certaine expérience. Et l’attractivité de l’hôpital public demeure un véritable problème.

Alors, quelles peuvent être les solutions ? Le Conseil national professionnel d’anesthésie-réanimation médecine périopératoire (CNP-ARMPO), qui regroupe la Société française d’anesthésie-réanimation (Sfar), le SNPHARe et le Snar, entre autres, ont produit, en juin dernier, un guide d’aide à la mise en place et à la gestion d’une « réanimation éphémère ». La réanimation éphémère consiste à transformer de façon temporaire des lits d’autres services en lits de réanimation. Pour autant, tous les lits d’un hôpital ne peuvent pas être « armés ». En effet, il faut tenir compte de certaines contraintes architecturales et technologiques. Par exemple, des prises murales d’oxygène, d’air et de vide sont nécessaires. De fait, la réanimation éphémère peut être mise en œuvre dans des services spécifiques : soins intensifs, soins continus, salles de réveil, blocs opératoires. L’avantage de ce dispositif est de pouvoir rapidement « créer » des lits de réanimation pour faire face à une crise sanitaire. « C’est une solution d’urgence, reconnaît cependant Anne Geffroy-Wernet. A l’avenir, il va falloir réfléchir différemment et sans doute augmenter le nombre de lits. Mais également revoir la gouvernance des hôpitaux et donner des perspectives au personnel. »

Moins de lits qu’en Allemagne

Aux lits de réanimation, il faut ajouter les lits de soins intensifs et ceux de soins continus. En 2018, la Drees comptabilise 5 832 lits de soins intensifs et 8 062 de soins continus. Au total, avec les lits de réanimation, la France dispose de 19 326 lits, contre 28 000 lits de soins intensifs en Allemagne, dont 20 000 de réanimation.

Cependant, la définition de ces types de lit n’est pas identique en Europe. Quoi qu’il en soit, en 2017, l’Allemagne a, en comptabilisant tous les services hospitaliers, 8 lits pour 1 000 habitants contre 5,9 en France, 3,1 en Italie, 3 en Espagne et 2,5 au Royaume-Uni.

Source : « Panorama de la santé », Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 2019.